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Di Meo
Fils de
duo irrésistible
tuer le père

Les Enfants de Dom Juan

Palmina Di Meo - Jardin Publik 02/05/2018

Le donjuanisme comme prétexte à une leçon de tolérance dans une version interculturelle. Voilà le défi qu’ont relevé avec art et savoir-faire Sam Touzani et Gennaro Pitisci.

Car c’est un spectacle à surprises que le Brocoli théâtre réserve au public très mélangé de l’Espace Magh.

Le concierge d’un petit théâtre de quartier découvre que le prétendu metteur en scène qui va monter Dom Juan et gâcher ses vacances par la même occasion ne serait autre que son demi-frère venu revendiquer sa filiation et le port du nom arabe de leur ascendant commun.

Oui… Sauf que, l’un est un pur Marocain dans l’apparence et dans le mode de vie, alors que l’autre n’a pas tout à fait la même couleur… Que peuvent-ils attendre de cette confrontation ?

 

Sur le ton de la farce, la pièce amène le public à la question de la tolérance et frappe dans un lieu de conflit par excellence : celui de la famille, sans compter le jugement de la communauté et de la société qui imposent des lois. Le tour de génie des deux auteurs est de revisiter le mythe de Don Juan par une réécriture du point de vue des descendants d’un libertin brutalement mis face à une parenté qui au premier abord risque de les encombrer plus que de les séduire. Quoique…

La trame pose alors indirectement la question des origines communes de l’homme et de la fraternité et du partage, tels que nous les enseignent les religions. Jusqu’où l’autre est-il admis à pénétrer notre espace ?

Que peut-il m’apporter et que risque-t-il de détruire ou de déséquilibrer ?

Les découvertes génétiques récentes prouvent que nous sommes le résultat de croisements multiples, cela nous rendra-t-il plus ouverts les uns envers les autres ?

 

Et si la rencontre passe nécessairement par la séduction de quelque nature qu’elle soit, elle sera guidée par la connaissance de l’autre.

Comment ouvrir la brèche ? L’audace de Dom Juan n’est sans doute plus à blâmer.

Ben Hamidou et Sam Touzani campent avec enthousiasme les personnages de ce duo insolite qui réussiront à s’apprivoiser par le truchement d’une supercherie comme nous en réserve cette comédie à tiroirs.

"Fils de" et frères cachés

Suzanne Vanina - Rue du Théâtre 30/04/2018

À l'assaut des crédos communautaires, cette comédie souriante se moque des à priori et des barrières.

Le décor, réaliste, pourrait suggérer au spectateur qu'on lui a dévoilé la loge-local de répétitions du théâtre où il se trouve. Il est exact quand même que le lieu où se joue la pièce y est décrit à son image : un théâtre ouvert à tous, dans un quartier populaire et qui ose les spectacles offrant matière à débats.

Ce théâtre est "fictionnel" (une toute petite partie ne sera visible que vue des coulisses) et la pièce est due aux talents conjugués de Sam Touzani et Gennaro Pitisci, ce dernier assurant une mise en scène souple et enlevée.

Un artiste en résidence a le projet d'un spectacle titré "Réapprenons à vivre ensemble". Cet "artiste nomade nommé Pierre est un comédien bien connu : Sam Touzani, de même que son partenaire: Ben Hamidou, qui est Nordine, concierge plutôt conservateur.

Ce duo de comédiens charismatiques s'affronte sur un sujet qui aurait pu être douloureux: la recherche de ses racines. C'est la véritable motivation de Pierre : aller à la rencontre de son frère Nordine jusqu'alors inconnu. Pour cela, il utilisera le prétexte d'un spectacle destiné aux habitants du quartier, autour de la figure mythique de Dom Juan, ce mécréant, athée, libertin, sans respect pour les femmes.

Pourquoi ? Parce qu'il sait que leur père commun a aussi séduit-et-abandonné leurs mères respectives. Il veut l'apprendre à Nordine en lui proposant la recherche de ses origines, une recherche d'ADN sous forme d'un test génétique simple que la science a rendu possible (les résultats démontrent que nous sommes plus proches les uns des autres que nous ne le pensons).

Ce sera l'occasion de voir s'affronter également des conceptions de la vie divergentes; il y aura une évolution des personnages, un changement des mentalités surtout chez Nordine et un "happy end" assez inattendu...

Pierre ne dévoilera pas tout de suite ses intentions véritables, se heurtant d'abord à un Nordine plus que déçu parce que, en ce torride mois de juillet, il devra se passer du traditionnel "retour au bled" de toute sa famille. Il est soumis non seulement à l'accueil de l'artiste mais à un ordre de son directeur bruxellois (qui communique par interphone), celui de devoir réparer des dégâts apportés aux statues classiques ornant le hall du théâtre.

Un licenciement menace... On apprendra plus tard qui en est le véritable coupable mais pour le moment, Nordine, frustré, n'est vraiment pas d'humeur à accueillir un mois durant cet artiste désinvolte qu'il juge complètement farfelu, à l'exact opposé de lui, si respectueux des habitudes et conventions héritées de sa communauté. 

Pourquoi un Pierre et un Nordine ne pourrait-ils ...fraterniser ?

Depuis "Gembloux, à la recherche de l'armée oubliée" - spectacle important qui n'a pas arrêté de tourner (de 2003 à 2012!) et cela bien avant le film "Indigènes"- sur lequel ils se sont rencontrés, leurs opinions personnelles n'ont pas empêché une amitié profonde de se développer.

Ce spectacle imaginé-rêvé dès 2005, est aussi le reflet de cette belle relation.

Dans ses spectacles - souvent des "seuls en scène"- Sam Touzani n'a jamais cessé de mettre en pratique des devises célèbres comme entre autres, celle de la France: "Liberté, égalité, fraternité" que du reste, il avait adaptée en "Liberté, égalité, sexualité"... de même que Ben Hamidou avait plutôt choisi de, par exemple, rendre hommage à sa grand-mère avec son "Sainte Fatima de Molem", l'humour étant un de leurs points de rencontre...

Cette dernière production, drôle et enlevée, propose de sensibiliser le public le plus large (dont en premier lieu des adolescents) à la nécessité d'ouvrir les esprits (dont l'esprit critique !), de répéter sans cesse la nécessité d'un "vivre ensemble" harmonieux, de susciter des rencontres généralement prévues après chaque représentation.

Pour ce spectacle créé à Molenbeek-Saint-Jean en 2016, les réactions pas toujours positives n'ont pas manqué car le Brocoli Théâtre n'évite pas, au contraire, "les sujets qui fâchent" (encore hélas) mais l'humour n'est-il pas "la propreté morale et quotidienne de l'esprit"? (J.Renard).   

« Les enfants de Dom Juan », un duo irrésistible!

Julia Garlito Y Romo - Le Bruitduoff Tribune 30/04/2018

CRITIQUE

« Les enfants de Dom Juan » de Gennaro Pitisci et Sam Touzani ; mise en scène de Gennaro Pitisci ; collaboration artistique: Ben Hamidou et Nacer Nafti ; Jeu : Ben Hamidou et Sam Touzani. 

La scène : un théâtre, ou plutôt, dans une pièce à l’arrière, aménagée d’un sofa, une table et deux chaises. Nordine (Ben Hamidou) en est le concierge depuis une vingtaine d’années. Il entre chargé d’un sac alors que la radio annonce les récents évènements provoqués par un attentat terroriste. Lassé et irrité, Nordine essaie de l’éteindre lorsque la voix du directeur du théâtre de quartier s’adresse à lui à travers l’interphone. Avec son accent bruxellois, il annonce au pauvre homme qu’il va être privé de vacances, décision du conseil, pour cause de dégâts, (dont il est supposé être l’auteur) et qu’il est, non seulement, chargé de réparer durant le mois des congés d’été, mais il devra, en plus, s’occuper d’un artiste qui logera au théâtre durant toute cette période. Choqué et surpris, Nordine essaie de négocier et supplie de le laisser partir au pays pour les congés -tradition incontournable- plus par crainte des réactions de son épouse Zora, que de renoncer au voyage. Ce n’est que le début, et le public rit déjà de bon coeur.

Le ton est donné.

L’artiste en question, c’est Pierre (Sam Touzani). Il entre en scène avec un dynamisme joyeux et optimiste ce qui a le don d’irriter le concierge obligé de s’occuper de lui. Engagé dans le cadre d’un projet

« Réapprenons à vivre ensemble », Pierre doit préparer un spectacle pour les habitants du quartier racontant l’histoire de Dom Juan, le terrible séducteur, athée, rebelle et sans scrupules.

Le célèbre personnage n’est pas choisi au hasard : Nordine n’est pas au bout de ses surprises (et le public non plus d’ailleurs). Pierre va l’aider, mais en échange de quoi et pourquoi ? À découvrir.

Une comédie jubilatoire qui traite de sujets graves sans jugement : la religion, l’homosexualité, les relations homme/femme, l’infidélité, les traditions, l’intégration, les mentalités, la politique, l’athéisme, l’amour, la fraternité.

Une surprenante mise en scène du belge Gennaro Pitisci, également auteur, scénographe et éclairagiste. Formé à l’Institut National des Arts du Spectacle, il collabore dès 1985 avec plusieurs théâtres pour adultes et des compagnies spécialisées dans le secteur jeune public.

Metteur en scène permanent au Brocoli Theâtre, il crée de nombreux concepts d’animation au sein des écoles, entre autres. Il met en scène Sainte Fatima de Molem, co-écrit avec Ben Hamidou, ou encore 

La Civilisation, ma Mère ! Gennaro est un artiste contemporain qui mérite certainement le détour, on ne demande qu’à le suivre !

Collaborateur artistique : Nacer Nafti, artiste de théâtre contemporain, directeur de l’asbl Tremplins, également co-auteur de « Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée », pour ne citer que cela.

Deux excellents comédiens, complices, qui n’en sont pas à leur première collaboration (« Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée" (2004 au KVS, par le Brocoli Theâtre, mise en scène Gennaro Pitisci et co-écrit par Ben Hamidou et Nacer Nafti):

Sam Touzani, aux multiples casquettes, tour à tour comédien, danseur-chorégraphe, auteur et metteur en scène. Membre fondateur de l’Espace Magh. Un touche-à-tout, rebelle lucide et engagé.

Optimiste, il a de l’énergie et des idées à revendre. Sur les planches depuis l’âge de douze ans, il n’a pas fini de nous étonner. Créatif à souhait, humaniste, athée, républicain et « loin d’avoir la langue dans sa poche », Touzani fera l’objet (notamment à travers les réactions de belges d’origine marocaine, mais pas seulement) de nombreuses critiques, de boycott, de menaces et même d’agression à la sortie de ses spectacles pour ses idées, sa liberté d’expression, son audace : « Pour moi, l’humour est un magnifique moyen de lutter contre la bêtise humaine » dit-il.

Extrêmement sympathique et sociable, ouvert à souhait, Sam ose, tant sur scène que dans les médias: il parle, il exprime ce qu’il pense et il a bien raison !

Ben Hamidou, originaire d’Algérie, également auteur, directeur de projets joués dans plusieurs pièces au Brocoli Théâtre (voir ci-dessus) ; responsable de l’asbl SMONERS à Molenbeek (Centre de médiation culturelle notamment avec les jeunes du quartier), entre autres projets tout aussi intéressants les uns que les autres. Pour ce spectacle, le respecté Ben Hamidou ose monter sur scène, après une réflexion longue de dix ans. Il passe au-dessus des critiques qui comme pour Sam, l’ont éclaboussé. Lorsqu’il n’est pas sur la scène (souvenez-vous , le BDO a suivi « Printemps Noir » au théâtre des Martyrs), on retrouve Ben au cinéma : dans les « Barons » de Nabil Ben Yadir ou l’inspecteur Ben Hamidou dans le film des Frères Dardenne. Talentueux, intelligent, Ben n’a pas fini de nous surprendre.

Excellent texte. Rafraîchissant, divertissant, tendre, émouvant, mais surtout une réalité : « Les enfant de Dom Juan »: « Une comédie, pour dire sur scène ce qui dans la vraie vie, pourrait créer une bagarre » peut-on lire. Pour le dire, ça ils le disent, mais de manière agréablement surprenante, intelligente, pleine d’humour et d’autodérision ; et surtout, avec l’art d’ouvrir les consciences vers une nécessité du vivre ensemble en toute amitié, sans préjugés, sans « enfoncer le clou ».

Pour que l’ADN ne soit plus uniquement une question génétique qui nous révèle nos origines, mais également un mécanisme automatique de la pensée qui aime et accepte que nous sommes toutes et tous égaux quelque soit nos différences, tout simplement :

« Les enfants de Dom Juan » : j’y vais, j’y cours !

Tuer le père - Les enfants de Dom Juan 

Titiane Barthel - Demandez le programme 26/04/2018

 

Après plusieurs années de travail, d’abandon, de retour au projet, le Brocoli Théâtre présente son dernier spectacle, Les enfants de Dom Juan, mis en scène par Gennaro Pitisci avec Ben Hamidou et Sam Touzani, qui a co-écrit avec le metteur en scène un texte simple et riche en questionnements actuels, au rythme moliéresque, pour le plus grand plaisir du public. Le mélange entre humour, méta-théâtralité et conscience grave d’un changement à opérer aujourd’hui est parfaitement dosé.

 

Dans la salle de spectacle de l’espace Magh, le rideau se lève sur la salle de répétition d’un théâtre dont la salle de spectacle se trouverait derrières les portes qu’on aperçoit en fond de scène. On voit y apparaître l’esprit des lieux, le concierge Nordine, prêt à partir en vacances pour « rentrer au bled ».

Cependant, rien ne va se passer comme prévu, puisque pour une raison qui ne nous est révélée qu’au fur et à mesure du spectacle, celui-ci subit un chantage de la part du directeur du théâtre, celui de renoncer à ses vacances s’il veut éviter qu’on dépose une plainte contre lui.

Cerise sur le gâteau, Pierre, un artiste en résidence, pure incarnation du comédien bourgeoisie-bohème arrive pour s’installer au théâtre et y passer l’été, au plus grand désespoir de Nordine. Le comique naît de cette situation de huis clos où les deux personnages, diamétralement opposés, l’un belge mais lié au Maroc et empreint de convictions conservatrices, l’autre homosexuel, libéré et donneur de leçons s’éprouvent l’un l’autre et finissent par travailler ensemble à la réalisation d’un spectacle.

Mais le spectateur est pris de court au fur et à mesure par les multiples sous-couches de cette comédie. Progressivement, on comprend que Pierre est venu car Nordine est son demi-frère, et qu’il est le fruit des aventures domjuanesques du père de Nordine.

On comprend aussi que les dégâts causés par Nordine dont l’accuse le directeur au début du spectacle consistent en la castration des statues de style antique du théâtre, en réalité opérée par son fils, par dégoût d’un milieu religieux et conservateur par lequel il est opprimé pour avoir osé dire sa pensée.

 

Au sein de cette situation comique s’instaure une situation douce-amère sur le statut de l’immigration en Belgique, la manière de se situer à l’intérieur du pays, et la façon dont le théâtre peut s’en emparer. Ce thème semble peser de plus en plus lourd dans le théâtre belge : lors d’une journée d’études au Théâtre des Martyrs pour Bruxelles Printemps Noir, on a vu un certain nombre d’artistes, journalistes et écrivains issus de l’immigration évoquer un sentiment déstabilisant, celui de réaliser que les terroristes de l’attentat de Maelbeek ont eu la même adolescence et les mêmes conditions de vie qu’eux, à Molenbeek, et amenant à se questionner sur les changements à apporter au vivre-ensemble pour que de tels actes ne puissent pas se reproduire.

Cette question délicate, Les Enfants de Dom Juan l’aborde d’une manière à la fois subtile et simple en surprenant en permanence le spectateur. La figure de Dom Juan, convoquée dès le titre, semble d’abord être mise en valeur par le personnage de Pierre, qui incarnerait cette liberté athée, mais elle est finalement détournée vers la figure d’un père indigne et menteur. La fraternité qui unit les deux personnages n’est finalement pas tant biologique qu’humaine, entre ces deux êtres que tout oppose mais qui s’unissent dans la volonté de faire entendre leurs voix et de tuer un père représentatif d’un milieu et d’une société. L’une de ces voix est celle d’un père confronté à un milieu conservateur qui empêche toute prise de parole, les fameux « Compatriotes de l’ombre » dont un envoyé apparaît à la fin du spectacle pour dissuader Nordine de parler, et qui ont puni son fils d’avoir osé penser librement ; l’autre est celle d’un artiste habité par le besoin de parler de l’attentat sans être récupéré par un appareil d’Etat qui voudrait « détraumatiser » artificiellement la population.

 

Le théâtre est l’ultime échappatoire, l’endroit d’une rencontre possible avec le public et d’une prise de parole à échelle humaine. Ce spectacle renoue avec la racine même de l’écriture moliéresque, celle de la farce populaire.

L’écriture même du spectacle est pensée de manière très judicieuse par rapport à la dramaturgie de Molière : le « catastrophe » de Nordine résonne comme un écho du « Mais qu’allait-il donc faire dans cette galère ? » de Géronte dans Les Fourberies de Scapin, et on entend derrière les grandes leçons de Pierre la voix de Dom Juan, s’adressant à Sganarelle.

Le Commandeur est à la fois convoqué par l’apparition d’une statue castrée et celle de l’envoyé des Compatriotes de l’ombre. Et quoi de plus moliéresque que les retrouvailles de fratries cachées ?

Une certaine inquiétante étrangeté plane, constamment contrebalancée par la farce, pour un spectacle où seul prime, pour les acteurs comme pour les spectateurs, le bonheur et la puissance d’être au théâtre.

 

 

 

​Dialogue subversif entre Sam Touzani et Ben Hamidou

Laurence Bertels - La Libre Belgique 08/11/2017 

"Les Enfants de Dom Juan" emporte au-delà des différences. Pour la fraternité. 

Par l’art vivant, loin des grands discours mais proche du cœur et de l’intelligence, le message du vivre ensemble finira par passer. Voilà ce qu’espère depuis des années le Brocoli Théâtre qui s’adresse, entre autres, aux adolescents.

Pas pour les divertir mais les aider à ressentir et réfléchir.

Chacune de leurs représentations est suivie d’une rencontre animée, ici, par Ben Hamidou, Sam Touzani et le metteur en scène Gennaro Pitisci. Grâce aux soutiens, notamment, de la Cocof et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, "Les Enfants de Dom Juan" peut être vu gratuitement par les écoles et milieux associatifs. Créé l’an dernier à La Maison des cultures et de la cohésion sociale de Molenbeek, non sans difficultés, toutes les affiches ayant été arrachées, le spectacle se joue cette semaine au 140.

Du vécu

En ce début d’après-midi de novembre, les adolescents arrivent agités. Au dehors, le soleil brille. Comme les yeux de Jo Dekmine, le regretté fondateur du Théâtre 140, dont une émouvante photo accueille le spectateur, comme en son temps, sa célèbre crinière blanche. Il nous regarde heureux d’apercevoir la jeunesse vibrer en ces lieux.

Sur la scène nous attend Nordine, l’authentique Ben Hamidou, le concierge du théâtre, Sganarelle, en quelque sorte, la voix du peuple. L’accent de Nordine ne trompe pas sur ses origines, un conservateur, amoureux des traditions, venu de Tanger. Pas plus que celui du directeur bruxellois qui ne s’adresse à lui qu’à travers l’interphone et lui interdit de partir en vacances - ô sacrilège - avec sa famille pour réparer les dégâts. Quels dégâts ? On ne le saura que plus tard.

Nordine se trouve dans une situation inconfortable, tiraillé entre sa tigresse de femme et le courroux de son patron. Mais aussi confronté à la mentalité bien différente de cet acteur en résidence, Pierre, affranchi des diktats, un Sam Touzani, fervent défenseur de la laïcité, parti de Molenbeek depuis longtemps, volontiers provocateur, toujours aussi charismatique. Il déboule avec la présence qui le caractérise, pour une durée d’un mois afin de répéter Dom Juan, ce mécréant, cet athée jeté aux enfers qu’il vaut mieux ne pas épouser dans la vie mais qui mérite d’être fréquenté au théâtre.

L’intérêt des "Enfants de Dom Juan" réside moins, on l’aura deviné, dans l’intrigue, que dans l’échange des deux hommes inspiré de leur vécu. Et même si l’on n’évite pas les bons sentiments, la pièce, humoristique, tendre, rythmée et volontiers subversive, pose, entre le haram et le halal, les questions qui fâchent, convainc de la nécessité de la fraternité et atteint sa cible, cette salle qui n’a pas bronché. Malgré un appel à la prière par GSM alors que le spectacle atteignait son paroxysme.

Sainte Fatima de Molem 

Roger Simons - Les Feux de la Rampe

Amis de l'émission/blog "Les Feux de la Rampe",bienvenue à Vous.

Je vous présente un magnifique spectacle dans lequel Ben Hamidou se raconte avec amour et sincérité.

SYNOPSIS

"Sainte Fatima de Molem" est un spectacle autobiographique qui nous emmène du présent – avec un père divorcé qui tente tant bien que mal de coucher ses enfants un soir où il en a la garde – au passé, depuis les quartiers populaires de Molenbeek.

Seul en scène, Ben Hamidou nous raconte son enfance passée à Molenbeek après que sa famille ait débarqué à Bruxelles au milieu des années 60’.

Du Sarma-Nopri à l’Académie de théâtre, le parcours qu’il retrace est dominé par une figure imposante, aussi drôle que tyrannique : sa grand-mère, une femme berbère centenaire à la langue bien pendue, tatouée et surnommée "Geronimo" par les camarades de classe de Ben enfant.

Morte, puis ressuscitée, Fatima deviendra Sainte Fatima de Molem, emblème de tout un quartier.

Ben Hamidou nous montre sa photo en fin de spectacle, grand moment d’émotion.

D’un bout à l’autre du spectacle, Ben Hamidou nous présente sa hanna comme une icône incarnant toute une communauté dont il est bien difficile de se détacher.

La traversée du canal, l’Académie, la découverte du théâtre et du métier de comédien, toutes ces étapes sont racontées avec humour et tendresse et c’est tout le spectacle qui s’articule autour de ce lien entre deux cultures, dans lesquelles Ben Hamidou veut inviter le public à puiser le meilleur. Difficile de puiser le meilleur. Tout est le meilleur, intéressant, amusant, important dans sa vie. Il est des plus étonnant, d’une vitalité totale, d’un rythme délirant.

CONTEXTE ACTUEL

Gennaro Pitisci (metteur en scène) : De nos jours, il est fondamental d’ouvrir le champ de son action au-delà de la désormais tristement célèbre commune de Molenbeek ou de celles où des populations d’origines étrangères sont particulièrement concentrées. Il convient de jeter un pont et faire la jonction entre des mondes qui tendent à se fragmenter alors qu’ils n’en forment qu’un : celui fédérateur et critique qui porte en lui la culture des mélanges, qui ne renie ni ses racines ni son présent, à l’instar de Sainte Fatima de Molem, un spectacle qui depuis sa création en 2009, n’a cessé d’être joué.

Programmer cette pièce aujourd’hui au Théâtre Varia, à l’heure de la montée des extrémismes et du repli communautaire, prend ainsi tout son sens.

CHOIX DE BEN HAMIDOU

Le parti pris autobiographique du spectacle a motivé le choix de Ben Hamidou de faire un seul en scène ou one-man-show. Cette forme théâtrale lui permet de porter sur scène son rapport intime à sa grand-mère, mais aussi à différentes personnalités qui peuplent Molenbeek, le quartier où il a grandi. Il prête ainsi son corps et sa voix pour nous faire entendre différents points de vue, en particulier celui de cette figure centrale de sa famille, sur une communauté riche de sa multiplicité.

Grâce à la forme du seul en scène et en incarnant plusieurs personnages, il démontre comment chaque individu est constitué et façonné par une appartenance multiple, qu’elle soit culturelle, religieuse ou sociale. Il se livre ainsi aux spectateurs tout en gardant une distance avec son sujet grâce à l’humour – trait typique du one-man-show.

BEN HAMIDOU DE MOLEM

« Mon identité est multiple. Je suis de ce pays mais je n’oublie pas d’où je viens. Je ne rêve pas en berbère, je rêve en français. Je me sens plus bruxellois et belge, sans rejeter mes origines marocaines. On est d’où on vit. Le Molenbeek de mon enfance est multiculturel, c’était un village. Il y a une trentaine d’années, en Belgique, les immigrés marocains, on les appelait les Maroxellois ! J’en ai fait un seul sur scène. Dans la pièce Sainte Fatima de Molem, j’essaye aussi de répondre à cette question : c’est quoi finalement être Belge ? Je ne revendique rien à la Belgique, c’est mon pays. Elle n’a jamais cherché à assimiler ses immigrés. Aujourd’hui, on se retrouve avec des jeunes bruxellois d’origine marocaine qui te disent « Moi, je suis Marocain » avec un fort accent belge ! Le théâtre permet de questionner et de se questionner, mais aussi de discuter. La culture prémunit contre beaucoup de maux, elle peut sauver Molenbeek du communautarisme et du repli identitaire. »

INTERVIEW-(COURT EXTRAIT)

Vous êtes donc un enfant de Molenbeek ?

Un enfant de Molenbeek qui n’était pas du tout prédestiné à faire ce métier. Vers 13 ans, c’est mon prof de français qui m’a dit : pourquoi tu n’irais pas faire du théâtre à l’académie? J’ai fait du théâtre et à partir de là je l’ai fait pour le plaisir. Ma grand-mère y était opposée, donc j’ai dû lui mentir et lui dire que je faisais des études de droit-

Ta grand-mère a joué un rôle important dans ta vie ?

Énorme. Elle m’a éduqué, elle était omnipotente et omniprésente, une force de nature extraordinaire

Ta grand-mère a soutenu Abdelkrim Al Khatabi (leader de la lutte d’indépendance du Rif et père de la guérilla moderne, ndlr).

 

Il doit t’évoquer beaucoup de choses

En tant que dignitaire arabe et musulman, à l’époque, au-delà de ce qu’il a fait, c’était complètement révolutionnaire. Abdelkrim s’est rendu compte qu’il fallait mieux séparer la religion du politique. C’était visionnaire. Quand tu vois toutes les dictatures des pays arabes, elles fonctionnent toutes sur base de la fusion de la religion et du politique. C’est la base même du système des pays musulmans. Ma grand-mère a passé des armes pour lui. Elle cachait des grenades dans de la menthe. Elle est morte à 106 ans, donc elle a connu toutes les guerres tribales, la première guerre mondiale, la guerre d’Espagne, la deuxième guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Donc pour elle, venir à Molenbeek, c’était du petit lait. Même avec ses tatouages. C’était Byzance.

Vous jouez un imam dans le film « Les Barons », quel rapport avez-vous avec la religion ?

Moi personnellement, je suis croyant. Je ne suis ni athée, ni agnostique. Mais je suis très ouvert de par mon métier. J’ai eu la chance d’avoir des parents très ouverts. Je pouvais parler avec mon père de plein de choses différentes. On ne m’a jamais obligé à faire ni le ramadan, ni quoi que ce soit. C’était mon choix. Mais malheureusement ce choix aujourd’hui n’existe pas. Il y a un contrôle social très fort qui est beaucoup plus important pour les femmes

Vous avez créé l’ASBL Smoners, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit de créer des projets artistiques avec des moyens professionnels en impliquant les gens du quartier. Cela peut prendre des formes différentes. On a des spectacles que l’on joue dans des salons de thé. On avait fait un spectacle sur le rapport des générations. On voulait toucher les parents. Dans un théâtre c’est impossible, dans les mosquées on ne peut pas faire du théâtre, donc on a choisi les salons de thé. On crée aussi des ateliers dans le milieu associatif. Il y a des choses qui bougent. Amener l’art lyrique à Molenbeek cela n’a pas été facile. En octobre prochain on propose un opéra à la Maison des Cultures. Ce n’est plus un boulot pour moi, c’est une passion. On ne devient pas millionnaire, mais on s’enrichit des rencontres. La différence nous nourrit. J’essaie que tous mes projets partent d’ici, de Molenbeek. Le quartier, malgré toutes ses difficultés, m’a tellement apporté que je trouve que c’est la moindre des choses. C’est une relation passionnée que j’ai avec le quartier. (Interview réalisée par Julien Versteegh)

Ben Hamidou est un brillant comédien auquel on s’attache immédiatement. Il nous tient en haleine dès son entrée en  scène.

Il est une femme à qui il doit beaucoup et qui marque sa vie. Elle est son héroïne favorite. Elle est Berbère et tatouée comme un chef indien. Elle est une femme de tradition qui aime les westerns modernes . Elle est un mélange d’amour et de tyrannie, une mère Courage à la langue bien pendue et au caractère bien trempé . Elle est une figure légendaire des quartiers de Molenbeek d’une époque dont elle dira, elle qui a tant vécu que   « Molenbeek, c’est du petit lait » Elle est Sainte Fatima de Molem , sa Hanna , son incroyable grand-mère.

Un beau spectacle plein de chaleur humaine !

 

Comment s’extraire de la glèbe ?

Rolland Westreich​

Une interprétation de Rabbi W, pour votre Noëlnouccah…
Qui suis-je si je découvre sur le tard que mon vrai père, mon géniteur, n’est pas celui que je croyais, et qu’en plus, il est Dom Juan ? C’est l’interrogation à laquelle est confrontée Nordine (un Ben Hamidou qui crève la scène), concierge et machiniste de théâtre de son état, dans « Les enfants de Dom Juan », pièce créée à Molenbeek fin décembre.

 

En effet, soudain surgit un Pierre dans la vie de Nordine, qui affirme être son frère (ils n’utiliseront jamais l’expression « demi-frère », comme si en matière de fraternité, il n’y avait pas de demi mesures…).

D’après ce Pierre porteur de la bonne nouvelle, la mère de Nordine ne serait qu’une des nombreuses femmes séduites et abandonnées par leur père…


Comment digérer cette annonce ? Pierre incarne le premier réflexe : partir à la recherche des autres membres de la fratrie. Ils auraient pu être dix ou cent, mais ce Dom Juan-ci semble avoir eu quelques ultimes réflexes de prudence, ils ne sont que deux. Toutefois, qu’ils soient deux ou mille, cela ne change rien au fait que ces fils ne peuvent que haïr le père, l’homme qui a abandonné leurs mères après les avoir engrossées. Ils ont vécu le malheur des mères, ils en sont le produit, leur corps et leur esprit en sont l’expression. Que le père ait agi au nom de sa liberté sexuelle, ils ne peuvent en aucun cas l’entendre, les fils d’un père libertin ne peuvent pas penser le libertinage. Aux yeux de sa progéniture masculine, Dom Juan ne peut être qu’un salaud.


Que vont-ils faire de cette haine ? Ils pourraient s’y adonner corps et âmes, d’autant plus que la pièce se situe à Molenbeek, décrite comme une enclave islamique et islamiste, où le cas des enfants de Dom Juan devrait être considéré par les fanatiques comme eau bénite à leur moulin de haine du désir et du sexe.
Or, pour Pierre il n’en est rien. C’est lui qui a initié la quête : parce qu’il connaît sa filiation, il sait qui il est, il est devenu artiste-comédien. Qu’a-t-il fait de la haine du père libertin ? L’a-t-il transcendée pour devenir artiste ?

On aimerait le supposer, mais on n’en sait rien… Ce qu’on sait, c’est qu’il n’a pas pris la voie de la haine générale, n’a pas transposé sur l’humanité toute entière et sur le sexe en particulier sa haine du père.


Nordine, c’est une autre affaire, c’est le vrai protagoniste de la pièce, celui qui va évoluer.
En effet, chez Nordine, tout semble prêt pour quelque chose qui n’est pas encore advenu… Il est concierge-machino dans un théâtre – les auteurs ne l’ont pas placé dans un entrepôt de la STIB ni à la bagagerie de Zaventem, notez bien, non, dans un théâtre. Autrement dit, si en tant que machino il n’est pas directement dans la création artistique, toutefois il manipule, met en place les éléments artistiques créés par d’autres, il les aborde par leurs aspects matériels, poids, géométrie, durée de mise en place… De l’art, il connaît la glèbe qui en constitue le fondement matériel. Toutefois, Nordine est un glébeux qui s’ignore, il ne sait pas qui il est. S’il éprouve de la haine, elle est diffuse, inconsciente. Mais bien présente : son fils à lui a embrassé le discours de haine des islamistes. Est mis en scène ici un extraordinaire inconscient familial : le fils de Nordine s’en est pris aux sexes des statues antiques qui ornent le théâtre, et Nordine est chargé de réparer (recoller…) les méfaits du fiston… Bref, le petit-fils de Dom Juan châtre symboliquement son ancêtre… Comme si, refoulée par ignorance de la filiation, la haine avait sauté une génération…


Comment s’extrait-on de la glèbe ? Avec l’aide d’un frère. Pierre pousse non seulement Nordine à admettre qu’ils sont issus d’un père commun, il l’incite à monter sur scène. Ensemble, ils joueront Dom Juan. La mise en scène de leur histoire les élève au-dessus de cette histoire. Les personnages qu’ils incarneront seront bien plus qu’eux, par la grâce de la création ce seront des figures universelles.
Mais qu’on ne s’y trompe pas :
« Les enfants de Dom Juan » n’est pas un spectacle lourd ou triste, au contraire, il est jubilatoire, déborde d’humour et d’énergie. Pas étonnant, dès lors, qu’il ait été boycotté par la glèbe locale, islamiste ou autre – même et surtout si elle ne l’a pas vu. Car ce n’est pas tant l’odeur de soufre dégagée par toute figure de Dom Juan qui les insupporte, le soufre est inhérent à leur univers mental, ils ne pourraient pas vivre sans… Non, c’est la légèreté par laquelle sont présentées des choses graves – « La légèreté de l’oiseau, pas celle de la plume », comme disait Italo Calvino ; c’est cette légèreté, leur véritable ennemie. Une légèreté synonyme de l’esprit qui s’élève au-dessus de la glèbe, sur lequel celle-ci n’a plus aucune prise… 

Bertels
Feuxdelarampe
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subversion
Y-a-t-il encore une place pour la subversion à Molenbeek?
16/12/2016 - Catherine Makereel - Le Soir.be


Peut-on tenir un discours subversif dans la communauté belge musulmane ? Ben Hamidou et Sam Touzani posent la question dans « Les Enfants de Dom Juan », une pièce créée – et boycottée – à Molenbeek. Tous deux dénoncent une ghettoïsation culturelle.

Ils ont grandi à quelques mètres l’un de l’autre – rue Mommaerts pour l’un et rue du Jardinier pour l’autre – mais leur parcours, ensuite, a mis tout un monde entre eux. D’un côté, Ben Hamidou, le « kid » de Molenbeek, qui n’a jamais abandonné son quartier, déterminé à le démystifier dans ses spectacles, comme dans Sainte Fatima de Molem, et à le faire vivre par ses ateliers de théâtre, très populaires auprès des jeunes.
 
De l’autre, Sam Touzani, parti de Molenbeek très jeune pour devenir un fervent défenseur de la laïcité, se déclarant « libertin et libertaire », s’attirant les foudres de la communauté musulmane par ses propos athéistes et ses spectacles, Allah Superstar entre autres, provocateurs.

En 2004 pourtant, un projet du Brocoli Théâtre les réunit : Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée .
Mise en scène par Gennaro Pitisci, la pièce raconte l’histoire des tirailleurs nord-africains tombés au combat dans les rangs alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Le duo de Ben Hamidou et Sam Touzani fait un tabac et sera joué plus de 250 fois en Belgique et jusqu’en Avignon. Sur la route, pendant la tournée de Gembloux, les discussions étaient animées entre Sam et Ben dans la voiture, se souvient Gennaro Pitisci. "Ils me faisaient vraiment l’effet de Dom Juan et Sganarelle, d’où l’idée du nouveau spectacle."  D’un côté, Dom Juan qui s’oppose aux contraintes sociales, morales et religieuses pour jouir du présent. De l’autre, Sganarelle qui incarne la voix du peuple et ses croyances rassurantes. Le fil rouge d’une nouvelle création était tout trouvé. Seulement voilà, quand l’équipe se retrouve pour écrire et monter le spectacle, en 2005, Ben Hamidou n’est pas tout à fait prêt à assumer un spectacle qui titillerait les questions de religion, de sexualité, de pression familiale et sociale. « C’était difficile pour moi qui vis au cœur d’une marmite bouillonnante, se souvient Ben Hamidou. Moi, après, je restais là pour faire face aux conséquences. »
Pourtant, plus de dix ans après, la position de l’artiste a changé : « Aujourd’hui, j’ai envie de l’assumer parce que la situation est catastrophique. On vit dans un ghetto et il faut du subversif pour faire bouger les choses.  »
Une position courageuse d’autant que ces Enfants de Dom Juan , créés à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale, suscitent un rejet évident de la part du public du quartier. Le soir de la première, la salle n’était pas tout à fait remplie, ce qui est du jamais vu pour la maison. Toutes les affiches du spectacle ont été arrachées dans la commune et quelques dates ont dû être annulées par manque de réservations. « En 20 ans de métier, je n’ai jamais vu ça ! », se désespère Ben Hamidou. Même son de cloche chez Dirk Deblieck, directeur du lieu : « Pour tous nos spectacles, nous sommes soutenus par les habitants et les associations de la commune mais cette fois-ci, je sens clairement que les associations ne nous soutiennent pas. Je trouve ça inquiétant et je ne sais pas qui porte ce boycott. Je préférerais parce qu’alors, nous pourrions au moins en discuter. »

Que le très frontal Sam Touzani apparaisse en rupture avec une partie de la population qui n’a pas envie de se faire mal en allant voir des spectacles en contradiction avec ses valeurs religieuses et morales, n’est pas nouveau, mais que le boycott atteigne Ben Hamidou, enfant et défenseur du quartier, est plus incompréhensible. « Je sens qu’il y a eu un basculement, regrette le Molenbeekois. Avec Sainte-Fatima de Molem, à la création, tout le monde était conquis mais il m’est arrivé il y a peu, au moment d’une blague autour de l’appel à la prière, d’avoir 50 personnes qui quittent la salle d’un coup. Dans Les enfants de Dom Juan, mon personnage évolue au contact de celui de Sam mais ici, les gens restent entre eux, tout est communautarisé, alors il n’y a pas de place pour une parole discordante, pour de l’autocritique. » Rire du sacré est-il devenu impossible ? «  En tout cas, nous sommes coincés entre, d’un côté, faire la critique de l’islamisme et de l’autre côté, faire le jeu de l’extrême-droite. J’ai été agressé des dizaines de fois mais je n’ai jamais rien dit parce que je ne voulais pas tendre le fusil aux populistes racistes , avoue Sam Touzani. Là où la Belgique a tout faux, c’est qu’au nom de la tolérance, elle accepte l’intolérable. Du coup, la minorité intolérante finit par s’imposer.  »

Quand on fait remarquer au duo que de plus en plus de lieux dédiés aux artistes de la « diversité » s’ouvrent à Bruxelles, comme l’Epicerie inaugurée à Molenbeek par le collectif Ras El Hanout, et qu’ils font souvent salle comble, les comédiens s’insurgent : «  Oui, il y a des gens de culture belge et d’obédience musulmane qui vont au théâtre mais ils restent entre eux et ne vont voir que des spectacles «halal», où on ne parle pas de sexualité, d’homosexualité, de religion. En général, le méchant, c’est l’Occident, et la victime, c’est le musulman, toujours dans ce rapport binaire où on compte les points, » s’enflamme Sam Touzani. N’est-ce pas un passage obligé, un tâtonnement qui rassure, pour ensuite évoluer vers plus d’ouverture ? « Mais ça fait 20 ans qu’on fait ça !, se vexe Ben Hamidou. On a mis des animateurs maghrébins avec les jeunes maghrébins, pour jouer les «grands frères», mais c’était une erreur ! On parle de mixité mais elle n’est nulle part.  » Un constat alarmant, à nuancer sans doute, mais qui témoigne d’une colère, d’une inquiétude franche, qu’on ne peut pas ignorer.

Les enfants (cachés) de Dom Juan
Malgré son titre, Les enfants de Dom Juan n’a rien de sulfureux. Rien en tout cas qui justifie la frilosité des habitants de Molenbeek, où la pièce est créée. Qu’y a-t-il donc de démoniaque dans la rencontre entre deux êtres que tout semble opposer mais qui vont se révéler bien plus proches qu’ils ne le pensaient ? Nordine (Ben Hamidou), le concierge d’un théâtre situé dans les quartiers populaires de la ville, doit sacrifier ses vacances au bled pour accueillir Pierre (Sam Touzani), un artiste qui vient s’installer en résidence d’été. D’un côté, Nordine est le pur produit conservateur de sa communauté, flanqué d’une femme possessive, une tigresse venue de Tanger. Bref, un bon bougre qui accepte la vie telle qu’elle est. De l’autre, Pierre, qui «  n’a pas une tête à s’appeler Pierre  », paraît bien plus affranchi des diktats de la société, obsédé qu’il est par la figure de Dom Juan, «  l’athée jeté aux enfers. » Officiellement, il est là pour créer un spectacle pour les habitants du quartier mais il semblerait qu’il ait un agenda caché. Sans vous révéler les coups de théâtre qui parsèment l’intrigue, disons qu’une amitié naissante va unir ces deux hommes, frères dans bien des sens du terme.
Derrière les portraits parodiques, la pièce glisse quelques allusions à l’hypocrisie de certains comportements. Sam Touzani qui revient d’un jogging dans le quartier en mini-short moulant sous le regard effaré de Ben Hamidou distille quelques pics sur les préjugés vis-à-vis de la virilité et de l’homosexualité. Une opération chirurgicale sur l’anatomie d’une statue nue réveille quelques crispations sur la sexualité. Et c’est ainsi que, par l’humour, le duo effleure les questions qui fâchent, de l’identité à la religion en passant par l’intégration, mais sans jamais enfoncer le clou. Comment décider ce qui est « halal » et ce qui est « haram » ? Quelle place pour la libre-pensée quand les interdits imprègnent tous les pans de votre vie ? Hommage à la fraternité, la pièce finit sur une image d’une douceur infinie, qui balaye toutes les rancœurs identitaires.
 
Les enfants de Dom Juan jusqu’au 18/12 à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek, Chée de Merchtem 67, 1080 Bruxelles.
Nize2012
Ben Hamidou libère les femmes
Le Soir 15/10/2012 - Adrienne Nizet


DABA MAROC Le comédien porte à la scène « La civilisation, ma mère ! » de Driss Chraïbi.

Lorsque nous l’avons rencontré, en septembre, à l’occasion du lancement du festival Daba Maroc, Ben Hamidou se félicitait, humblement, d’attirer dans les salles un public extrêmement varié. Nous l’avons constaté samedi, lors de la représentation de son tout nouveau spectacle, La civilisation, ma mère !, à la Maison des cultures et de la cohésion sociale de Molenbeek : pour y assister, des Blancs, des Beurs, des jeunes (même des enfants !), des moins jeunes, des hommes, des femmes… avaient fait le déplacement.

« Pendant mes spectacles, parfois, certains rient et d’autres non, ou à d’autres moments, poursuivait-il alors. Les uns ne comprennent pas forcément pourquoi les autres rient, mais ce qui compte, c’est qu’ils veulent le savoir. » 
De fait, l’humour est un jeu de références. Il peut donc passer différemment en fonction de celui qui le réceptionne.
Ainsi, dans La civilisation, ma mère !, un roman de Driss Chraïbi (auteur marocain de langue française) adapté pour la scène par Ben Hamidou et son complice de toujours, Gennaro Pitisci, certains rient des évocations des scènes de la vie quotidienne au Maroc. D’autres plutôt des imitations (volontairement caricaturales) des mères méditerranéennes.
D’autres du bruitage de la radio ou des mimiques élastiques du comédien… Mais ce qui est sûr, c’est que (presque) tout le monde rit. Ben Hamidou a le chic pour emballer son public. A peine fait-il mine de lisser ses imaginaires cheveux longs que, ça y est, le voilà dans la peau de cette femme, mariée à treize ans, mère de deux garçons, dont Driss Chraïbi raconte l’histoire.

Cette femme, qui a craint son mari « qui aurait pu être son père » avant de s’habituer à sa présence, ne sortait pour ainsi dire jamais de son foyer. Mais un jour, ses deux fils ont décidé de lui faire découvrir le monde au-delà des murs de la cuisine. D’abord en y faisant entrer une radio. Ensuite en lui offrant des chaussures (rouges à talons !) et en la guidant dans la rue, au cinéma, etc.

Drôle parce que porté et « mis en rires » par Ben Hamidou, ce texte assez court (la pièce dure une heure) est une véritable ode à la liberté. Celle qui s’apprend. Se découvre. S’apprivoise, pas à pas. Décomplexé et décomplexant, La civilisation, ma mère ! remet par ailleurs sans en avoir l’air quelques pendules à l’heure. Sur la normalité. La culpabilité. La loyauté. Et la liberté, encore et toujours.

Mis en valeur par une mise en scène minimale (un seul tabouret pour accessoire), Ben Hamidou soutient ce texte avec convictions et émotions. Comme l’humour, elles passent en fonction de ce que chacun a en lui, dans la salle.


PORTRAIT

Drôle et engagé
Souvent, Ben Hamidou est placé dans la catégorie « humoriste ». Et c’est vrai qu’il est drôle, l’artiste. Il faut le voir parodier des chants d’église (pour un rôle !), imiter différentes mamans dans La civilisation, ma mère ! ou encore délirer avec Zidani dans La Maroxelloise, agence de voyages. Pour autant, Ben Hamidou réfute, à raison, cette étiquette. Car s’il les rend légères, par leur ton, ses pièces ne sont certainement pas « que » drôles.
 
Que ce soit dans Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée (sur la participation des Marocains à la seconde guerre mondiale), Sainte Fatima de Molem (sur son enfance à Molenbeek), Moudawana Forever (sur l’égalité hommes femmes) ou aujourd’hui avec La civilisation, ma mère ! (sur l’émancipation des femmes), il s’interroge en permanence (et son public avec lui) sur des questions de société qui le taraudent.
Engagé, notamment contre les clichés qui stigmatisent Molenbeek, « sa » commune, le comédien s’est fait connaître en donnant des ateliers dans des quartiers défavorisés. Et sur grand écran, on l’a vu dans Les Barons, de Nabil Ben Yadir. Rappelez-vous, il jouait l’imam…
Dabamaroc

DABA Maroc : La Civilisation, ma mère… !

Du roman à la scène - Julie Hallinger
 
Pour le festival DABA Maroc et à la demande des Halles, le comédien Ben Hamidou et le metteur en scène Gennaro Pitisci nous reviennent avec une adaptation du célèbre roman de Driss Chraïbi, la Civilisation, ma mère !… Un beau challenge pour un seul en scène

C’est en duo que Ben Hamidou et Gennaro Pitisci s’attèlent à cette nouvelle création : l’adaptation scénique de ce roman dense et poétique, dont l’ambition est de rendre la richesse littéraire dans un seul en scène.

Pour travailler ce texte aux multiples voix, qui se déroule principalement dans le Maroc des années 30-40 – alors sous protectorat français – il faut opérer les choix justes et jouer avec l’oralité de la langue de Chraïbi.

 

En recherchant la manière de rendre la langue, le contexte, l’humour ou la saynète, les artistes optent pour une « narration contée ». « Il faut régler des problèmes de mise en scène en même temps que le travail d’adaptation… Il ne faut pas que l’acteur se batte contre le texte. » Même si le conte n’est pas le propre des cultures méditerranéennes, la tradition orale et le conte y tiennent une place importante. Pour Ben l’acteur, c’est un peu se réinscrire dans la tradition orale de sa culture. « On raconte. C’est un mariage, car on sort des sentiers battus par rapport au conte traditionnel, on bouge… ».

Opérer des choix est crucial pour arriver à 1h15 de spectacle. Le duo travaille à table et sur scène en même temps, ils dialoguent sans arrêt, et espèrent arriver à un théâtre action, contenu à la fois en une forme très arrêtée où le principal vecteur de théâtralité est le verbe. L’alternance entre discours direct et discours indirect y tient une place importante et l’on pourrait aisément imaginer un spectacle comme celui-ci uniquement en discours direct. Ce théâtre « des mots », ils le pratiquent depuis des années et l’ont notamment exploré avec Gembloux, à la recherche de l'armée oubliée (1). « C’est le verbe qui comptait. Le spectateur a eu peur de le voir disparaître dans une mise en scène. Il y avait deux acteurs, des choses très simples qui fonctionnent très bien. Sainte Fatima de Molem s’est écrite dans le même esprit ».

Avec la Civilisation, ma mère !…, leur défi est de suggérer la richesse de la langue de l’auteur, en apportant les distanciations et reformulations nécessaires à rendre le roman de Chraïbi plus accessible, tout en faisant (re)découvrir cet écrivain talentueux. Pour Ben Hamidou, le défi c’est aussi travailler un texte de cette qualité, avec théâtralité, en étant poétique, et drôle. Pour la mise en scène, comme le dit Gennaro, il s’agit de « bien démarrer » : comment faire entrer le spectateur dans les années 30 ? Ben joue sans costume, tour à tour le narrateur et tous les personnages, dont l’un des fils qui dit avoir six ans en 1936. La question du temps de l’histoire demande également une attention particulière, les artistes choisissent le présent, temps de l’immédiateté.

Désireux de rester au plus près du roman, Ben et Gennaro recherchent en tandem : « on essaye, on doit être ouvert, accepter et voir ce qui se produit… et rêver dessus ». Leur travail s’élabore à partir d’échanges de propositions sur l’adaptation, un travail sur l’action, des recherches historiques sur le Maroc et sur l’entre-deux-guerres.

Il leur faut aussi introduire des éléments qui ne sont pas dans le roman : « Entre deux passages, on fait intervenir la voix de l’Histoire (notamment par la présence de la radio où vit un génie dans le roman), où en sont les suffragettes, où en est le Maroc ». Des moments de fiction aussi, ce qui permet de changer de cadrage et de plan. Dans le processus de travail, tout passe d’abord par l’oralité pour se fixer ensuite sur le papier.

Si le roman de Chraïbi marie l’oralité à la narration, il regorge de comparaisons et de métaphores qui sont autant de pistes pour donner libre cours à la mise en scène et au travail du comédien. « Les mots sont la base, avec les mots on peut tout faire », confie Ben. Sur scène, comme précédemment avec Gembloux ou Sainte Fatima de Molem, le texte prime… et seul en scène, le comédien soutien tout. « Ici, les personnages principaux sont les deux fils qui racontent l’histoire tendre et étrange de cette mère-enfant… Il faut jouer sur les conventions entre acteur et spectateur ».

On démarre autour de 1936, quelque part dans le roman. Ben Hamidou joue sur le plateau les actions qui font le corps et les rebondissements de cette histoire. Ce jeu entre oralité, action et moments de poésie doit « suggérer la grande qualité d’écriture de Chraïbi. Il faut être relativement fidèle à l’auteur, prendre des extraits, mais aussi mélanger », transmettre le fil conducteur, garder le public avec soi. Et l’humour ? Il a sa place bien entendu, mais s’immiscera plutôt comme une forme de respiration.

Bien sûr, et dans le contexte des révolutions arabes, on ne peut voir dans ce roman de Driss Chraïbi qu’une histoire tendre et drôle. Ce livre pourrait s’apparenter à un manifeste pour l’émancipation de la femme, Chraïbi étant souvent présenté comme un auteur féministe. La mère, « femme tuée dans l’œuf », va s’émanciper grâce à ses deux fils et fait elle-même figure de révolution. Un symbole, une métaphore à elle seule : incarnant toutes les femmes, elle incarne la civilisation – et en miroir, questionne le Maroc. Sans doute un point commun entre Chraïbi et les préoccupations du comédien et du metteur en scène, la condition de la femme comme question centrale.

L’adaptation prend en compte la mutation extraordinaire de cette mère littéralement recluse entre quatre murs. Le livre se découpe en deux chapitres, un « Être » et un « Avoir », où l’on voit cette femme passer de l’enfermement dans sa tradition à l’indépendance et à la liberté. Mariée à l’âge de treize ans à un homme qu’elle ne connaît pas, elle va peu à peu découvrir la modernité, mais aussi la réalité du monde qui l’entoure et sa propre condition. Elle finit par quitter son pays et son mari, pour rejoindre l’un de ses fils parti en France.

Et si c’était dans l’engagement, dans la mutation que pointe ce roman, que résidait la véritable clé des révolutions (actuelles et à venir) ? Comme le souligne Gennaro Pitisci, « les révolutions ont lieu mais des crispations se font chez ceux-là même qui ont donné de leur sang. Le changement on le veut bien, mais peut-être pas en ce qui concerne les rôles complémentaires attribués aux hommes et aux femmes ». Et Ben Hamidou d’ajouter « Pendant les révolutions arabes, on voyait ces femmes qui se mêlaient aux hommes, c’était une ode à la liberté, où hommes et femmes étaient ensemble. Et malheureusement, quand le régime tombe, ces femmes disparaissent, leur rôle devient anonyme, il est même occulté. Et le pouvoir est repris par les hommes. C’est un roman très actuel, où la condition féminine est centrale et fait le lien entre tous les citoyens : Égyptiens, Marocains, Tunisiens, Algériens… ».

Dans la dernière partie de l’histoire, le père – qui pose alors un regard nouveau sur sa femme – s’adresse à son fils : « Prends la Bible, l’Ancien Testament, le Nouveau Testament. Prends le Talmud, le Coran, le Zohar, le livre des Hindous. Partout, dans toutes les religions, tu ne trouveras que des hommes. Pas une prophétesse, pas une seule envoyée de Dieu. » (2) Échos très actuels, et nombreux, dans ce roman paru en…1972.

Note 1 : Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée, une création de Ben Hamidou, Nacer Nafti, Gennaro Pitisci et Sam Touzani.

Note 2 : Driss Chraïbi, la Civilisation, ma mère !…, Folio, p. 171.

LemanFOyer

Sainte Fatima de Molem (théâtre)
Johan Leman (opinion FOYER 40 9/12/2009)

 
Un très beau solo de Ben Hamidou, molenbeekois très attaché à sa commune. Le co-auteur (la pièce est co-écrite par Gennaro Pitisci) nous parle de sa grand-mère. La pièce commence dans la maison du conteur, séparé de Clémence (avec qui, nous l'apprendrons plus tard, il était marié grâce à l'intervention de sa grand-mère) et qui veille ce soir sur ces deux enfants, un garçon et une fille. Suite à un coup de téléphone il semblerait que Clémence sortira ce soir avec Hassan, un ancien copain du conteur.

Ben Hamidou nous parle alors de son enfance avec sa grand mère, une femme berbère issue d'un bled dans le Rif, avec les tatouages typiques de l'époque, sa vie à la maison et à l'école... et la place qu'y tenait sa grand mère.
C'est l'histoire d'un enfant et de sa grand mère: l'histoire du très grand fossé entre les générations, fossé social et culturel, où l'enfant (le conteur) nous emmène à travers son imagination. La grand mère et l'enfant se retrouvent dans le monde des cow-boys: ils étaient les premiers cow-boys berbères des western-spaghetti.

Une formation à l'Académie de Bruxelles amènera le conteur à se détacher pour la première fois de Molenbeek et de sa grand mère: il atterit de l'autre côté du canal. C'est  durant sa formation que meurt sa grand mère, enfin... elle est mourante et déjà on parle de sa mort lorsque soudainement elle se ressaisit: l'erreur médicale devient un miracle.
Sa grand mère revient dans le quartier et est acclamée sainte, guérisseuse, miraculée, Sainte Fatima de Molem.
Les étudiants de l'Académie, à la recherche d'un sujet, en feront une pièce de théâtre.
 
Ensuite, après de nombreux petits jobs en tant qu'animateur au club Méditerranée, le conteur reviendra à Bruxelles... pour la mort (véritable) de sa grand mère, et il sera présent aussi lors de son enterrement dans son bled dans le Rif.

C'est un très beau on-man-show. Le conteur est certaienement éreinté à la fin de la pièce. L'effort demandé est énorme. Ce doit être épuisant. Mais Ben Hamidou est brillant. La pièce a aussi une véritable profondeur. Les écrivains ont été courageux dans leur critique de l'Islam, des religions en général, des propres traditions, des mythes concernant l'intégration, et pourtant ils demeurent à tous les coups respectueux des opinions de chacun... Après "Les Barons" voici une nouvelle explosion de la créativité artistique à Molem. Chaudement recommandé pour tous ceux qui veulent apprendre à mieux connaître Molenbeek et passer une agréable soirée.

missing

Missing : Le théâtre est-il un péché à Saint-Josse ?

TRACeS de changements#189 – 01/02 2009

Récemment, de nombreux spectateurs ont pu découvrir le dernier spectacle d’atelier réalisé par le Brocoli Théâtre avec des habitants de la plus petite commune bruxelloise. Comment des gens, si éloignés de la pratique théâtrale réussissent-ils à nous emmener dans la fiction qu’ils ont inventée ? Comment ces personnes issues de catégories sociales dites

« défavorisées » réussissent-elles à nous concerner avec leur spectacle sur les relations hommes/femmes ?

Créé au Théâtre Le Public, puis repris au Botanique et programmé au Festival des Libertés, le spectacle Missing semble nous inviter à réinterroger les vertus du théâtre lorsqu’il est conçu et interprété par des gens, des anonymes qui ne fréquentent pas les lieux culturels, mais décident de s’approprier une pratique artistique pour mieux avancer, comprendre et grandir.

La mise en jeu de la vraie vie

Le Brocoli Théâtre, comme les autres compagnies de Théâtre-Action, consacre une partie centrale, essentielle de ses activités à permettre à des artistes, des animateurs, d’aller vivre le théâtre avec les gens, là où ils se trouvent. Proposer à des groupes de personnes qui ne se rendent pas spontanément dans les lieux de création et de diffusion culturelle, de vivre avec des acteurs, des metteurs en scène professionnels, l’expérience d’une pratique artistique originale, nourrie de leur parole, de leurs préoccupations, de leurs témoignages : un travail qui aboutisse à la présentation publique d’une pièce jouée par eux-mêmes. Les aider à construire une parole, un discours, un objet, une forme artistique qui puissent exister, être partagés un jour avec un public.

Après tout, le théâtre repose sur le jeu, cette capacité inhérente à l’humain que nous avons tous largement utilisée pour nous préparer, alors que nous étions encore au nid, à affronter le monde le moment venu, lorsque nous aurions l’âge de voler de nos propres ailes. Permettre à des adultes de renouer avec le jeu, la mise en jeu de la vraie vie, est toujours une expérience qui nous grandit, avec eux, ces gens sortis de l’anonymat… Et nous nous demandons alors ce qui a bien pu faire que le théâtre soit la propriété des diplômés, des professionnels que nous sommes…

Le Brocoli Théâtre propose donc des créations originales destinées prioritairement aux publics qui ne se rendent pas spontanément dans les lieux culturels. La compagnie bruxelloise mène une recherche sur la théâtralité en réinterrogeant son rapport aux publics variés qu’elle rencontre via les milieux associatifs, les organismes socioculturels et les théâtres. Régulièrement invités à prendre la parole après les représentations, les spectateurs du Brocoli sont aussi invités à faire partie de groupes où ils sont à la fois auteurs et acteurs de spectacles qui leur donnent l’occasion de partager leurs points de vue sur notre société. Cela a permis de créer de nombreux spectacles issus d’ateliers, à Bruxelles et en Wallonie.

Des hommes et des femmes

Missing, notre dernier spectacle d’atelier, a été créé en septembre 2007 à Saint-Josse, suite à une demande de l’échevinat de la culture de travailler avec des habitants dans le cadre de la Politique des grandes villes. Aucune précision n’était été donnée quant à la thématique du projet, mais une condition avait attiré notre attention : nous étions obligés de travailler avec un groupe mixte… Travailler avec des hommes et des femmes nous paraissait tout naturel, mais les fonctionnaires de l’administration pensaient tout bonnement que c’était impossible. Et c’est là, au cœur de cette apparente impossibilité, qu’a germé l’idée de travailler sur les rapports hommes/femmes aujourd’hui à Saint-Josse. Réunir des personnes des deux sexes, les écouter, inventer avec eux une histoire, leur donner envie de jouer et enfin, rencontrer le public.

Et ce ne fut pas une mince affaire ! Dans un premier temps, deux groupes de parole « sexuellement séparés » furent réunis chaque semaine. Pendant trois mois, la parole des trente participants était enregistrée, retranscrite. Il suffisait de se laisser parler, de débattre sur les deux sexes. Ce qui les rapproche, ce qui les éloigne, le choc des cultures… Plus tard, un seul groupe mixte était mis en place dans le but de créer une histoire tirée de leurs témoignages, les exemples de la vraie vie sur le sujet. Un fait divers s’imposait, vu la force symbolique de son propos : une femme mystérieusement disparue depuis des années, recherchée par ses enfants. Tout le monde parle de sa grande beauté, de son intelligence, mais aussi de la belle-sœur, contrainte de prendre sa place pour s’occuper des enfants, sacrifiant sa vie au rôle d’une mère fonctionnelle.

De semaine en semaine, sous la direction des animateurs du Brocoli Théâtre, ces hommes et ces femmes découvrent le jeu théâtral, comme s’ils ressuscitaient la créativité de l’enfant qui sommeille en eux. Mais cette remise en vie a une odeur de tabou et beaucoup partiront, quitteront le groupe malgré leur enthousiasme. Écrasés par la pression sociale du quartier, de leur famille…

Le théâtre des impossibles

Entretemps, d’autres personnes avaient rejoint le groupe. Des nouveaux qui entendaient parler de ce passionnant projet et qui souhaitaient avant tout jouer un rôle dans le spectacle qui arrivait peu à peu dans la phase décisive de sa conception. Ces derniers candidats acteurs découvraient un chantier extraordinaire, s’étonnant de la disparition de ceux qui avaient apporté leur pierre à l’édifice. Des hommes et des femmes qui avaient vécu l’entièreté du parcours depuis le début, il ne restait que Hamid et Meryem. Bien décidés à porter le bébé à terme, jusqu’au public, cet homme d’origine marocaine assigné à résidence par la justice, et cette dame turque parlant à peine le français nous apparaissaient comme les véritables protagonistes de cet impossible projet. Et il fallait alors, avec eux qui avaient tout vécu depuis le tout début de cette aventure, choisir une voie, une direction dramaturgique qui déciderait de la forme de cette pièce à écrire. Et comme le théâtre est le lieu de tous les possibles, il fut décidé que Missing serait, dans une première partie, la narration de l’histoire de l’atelier lui-même par Meryem et Hamid, accompagnés par un chœur d’habitants qui les inciteraient, dans un second temps, à raconter l’histoire, la fiction qu’ils avaient inventée avec les autres, ceux qui étaient partis.

L’équipe du Brocoli Théâtre et les comédiens du spectacle Missing ont reçu le Prix « J’en Pince 2009 », décerné par Vie Féminine, dans le but de sensibiliser le grand public aux inégalités liées au sexisme.

Malgré les difficultés de la langue française pour ces deux-là, plus téméraires que jamais, la pièce fut écrite et créée en septembre 2007. Missing est le fruit d’un travail de fond. Il ne s’agit pas d’une expérience ponctuelle, mais bien d’une démarche permanente et d’un engagement politique. Cette aventure humaine, entre humour, tendresse et colère, semble nous parler de l’importance du dire et nous rappelle que tout ce qui nous parait impossible à changer dans ce bas monde doit être parlé, exploré, revisité.

théâtre des impossibles

"Missing", le théâtre des impossibles
La Libre Belgique - Stéphanie Bocart 11/09/2008


Le Brocoli théâtre présente la pièce "Missing", du 10 au 14 septembre, au Botanique. Sur scène, deux habitants de Saint-Josse, entourés d'un choeur. Ils livrent un texte fort mêlant réalité et fiction, humour et tragédie.

Dans la salle de l'Orangerie du Botanique, à Saint-Josse, les techniciens s'affairent. Il faut monter le décor, placer l'éclairage, vérifier le son et disposer les gradins qui accueilleront les spectateurs. Il ne reste plus que quelques heures avant le début du spectacle... Et comme souvent, "il y a du retard avant les répétitions de l'après-midi", soupire doucement Gennaro Pitisci, metteur en scène du Brocoli Théâtre. 

Un an après avoir présenté son spectacle "Missing" au theâtre Le Public, le Brocoli réitère l'aventure au Botanique cette fois, du 10 au 14 septembre. Sa particularité? "Nous faisons du théâtre-action dans sa forme originelle, explique Gennaro Pitisci. Ici, le théâtre n'est pas la propriété de diplômés ou de professionnels. Il s'ouvre à tous. Il permet de retrouver le plaisir du jeu, de retomber en enfance,... mais aussi d'avoir le droit de s'exprimer, de mieux comprendre la réalité du monde."
 
Ayant déjà collaboré avec la commune de Saint-Josse en 2004-2005 à l'écriture collective du spectacle "Le Parc", Gennaro Pitisci est à nouveau sollicité par la petite entité bruxelloise pour monter un projet de théâtre-action en concertation avec la population tennodoise et joué par celle-ci. Enthousiaste, Gennaro Pitisci accepte. "Aucune thématique n'était imposée, se rappelle-t-il. Mais dans la convention qui liait le Brocoli théâtre à la commune, il était spécifié que le projet devait être mixte". Epris de défis, Gennaro Pitisci décide alors d'opter pour la thématique du rapport entre les hommes et les femmes: "faire jouer des hommes et des femmes ensemble et non en groupe par groupe. Il s'agissait donc d'intégrer l'obligatoire, l'impossible et l'utopie de la mixité" commente-t-il.
 
Par l'entreprise d'associations de la commune qui dispensent des cours d'alphabétisation en français, Gennaro Pitisci fait connaître son projet aux Tenoodois. "Pendant trois mois ont été organisés des groupes de paroles d'hommes et de femmes. Les conversations étaient retranscrites et les animateurs échangeaient ce qui avait été dit dans chaque groupe. Se sont alors jetés à l'eau une trentaine de participants. Après l'été 2006, nous avons formé mixte. Il y a eu là un écrémage naturel important: il restait une douzaine de participants." De septembre à juin, chaque mardi après-midi, dans le cadre des cours de français, le petit groupe se retrouve et invente une histoire. "L'histoire est tirée d'un fait divers marocain qui, transformé, est devenu une rumeur : une femme mystérieusement disparue est recherchée par ses enfants", raconte le metteur en scène. La pièce trouve tout naturellement son nom Missing.
 
Deux téméraires
 
Peu à peu, le projet prend forme. Pourtant, peu avant la première représentation, "le groupe a fondu comme neige au soleil" se souvient Gennaro Pitisci. De la petite troupe, il ne restera que deux "rescapés" - "téméraires", insiste fièrement le metteur en scène : Meryem Abali Erol et Abdhelhamid Rahali Siha. La visite du théâtre Le Public a, en effet, eu raison de la grande majorité de comédiens amateurs. "La pression du quartier, des échéances, et la peur du jugement ont dissuadé nombre d'entre eux. C'est le propre du spectacle vivant de mettre le spectateur dans ce délicieux mélange d'inquiétude et de plaisir", estime Gennaro Pitisci. Pour Hamid : " Beaucoup n'ont pas osé monter sur scène. Mais, comme Meryem, j'ai eu la volonté de faire le projet, de le mener jusqu'au bout!"
 
Mise en abîme
 
Face aux vicissitudes du projet, Gennaro Pitisci et les deux comédiens décident de greffer la réalité sur la fiction: " Nous avons choisi de faire une mise en abîme dans le spectacle, de raconter comment se déroulaient les ateliers hebdomadaires", indique le metteur en scène.
 
De sa plume naît une pièce à texte. Mais le parcours est semé d'embûches : Meryem éprouve des difficultés à s'exprimer en français. Qu'à cela ne tienne : la jeune femme d'origine turque, installée en Belgique depuis 4 ans décuple ses efforts pour mémoriser et déclamer son texte.
 
D'un ton tantôt léger tantôt tragique, la pièce brasse les cultures, les religions, et les thématiques de l'égalité homme-femme, la condition féminine,... dans le décor de Saint-Josse, entité d'un kilomètre carré concentrant quelque 140 nationalités différentes. Seuls sur scène, Meryem et Hamid, entourés d'un choeur, jouent tous plusieurs et racontent une histoire, la leur, celle de tous les autres: "ce n'est pas juste du théâtre", lance Meryem. C'est la réalité".
 

éblouissement

L'éblouissement culturel

Anne Marie-Impe - Le Journal de Culture et Démocratie #19, 12/2008

 

Pour la première fois de ma vie, j’ai osé mettre ma photo sur mon CV, s’exclamait un jeune Africain, au lendemain de l’élection de Barack Obama. La scène se déroulait au Thé au Harem d’Archi Ahmed, un café-restaurant de Saint-Josse, lors d’une représentation de la pièce Missing, mise en scène et produite par le Brocoli Théâtre.

Ce soir-là, nous, le public, avons vécu des moments de pure magie. Ce spectacle était en effet l’aboutissement d’un travail de près de trois ans, entrepris à l’initiative de cette petite commune bruxelloise, et mené à bien par une compagnie de théâtre-action, avec la participation active des habitants. Pas les habitués des salles de spectacle. Non. Des volontaires recrutés dans des cours de français pour immigrés. Issus des quatre coins du monde, une trentaine d’entre eux acceptèrent de jouer le jeu. Un réel défi lorsqu’on sait que cette pièce à inventer, écrire, monter, jouer avait pour thème les relations hommes-femmes.

Dans un contexte culturel où la mixité reste taboue, les unes et les autres se réunirent séparément pendant 3 mois.

Chacun eu la parole. Et pose des questions à l’autre groupe par animateurs interposés. Rédigé par Gennaro Pitisci, le texte final de cette création collective évite les grands clichés, les prises de position à l’emporte-pièce et séduit par le sens de l’écoute dont il témoigne.

Lorsque les répétitions théâtrales mixtes commencèrent, les pressions sociales se firent pesantes. Certains n’avaient pas dit à leur famille qu’ils participaient à la création d’un spectacle ; laissant penser à leur entourage qu’ils se rendaient à leur cours de français. D’autres, surtout lorsqu’ils découvrirent la grande salle du théâtre Le Public, où devait se jouer la première de la pièce, eurent brusquement peur d’assumer une prise de parole en public. Tant et si bien que la trentaine de participants fondit comme neige au soleil. Seuls deux d’entre eux restèrent jusqu’au bout. Les deux acteurs principaux, qui jouent tous les rôles de la pièce, soutenus par un chœur d’une vingtaine de personnes, représentant ceux qui s’éclipsèrent au fur et à mesure.

Deux figures inouïes : Meryem, une jeune femme turque, ne parlant pas le français, mais qui a parfaitement appris son texte et le restitue avec un charisme et une présence sur scène extraordinaires. Et Hamid, venu assister aux répétitions bracelet électronique au pied, et qui n’a fait part aux autres membres du groupe de son statut de prisonnier que le jour où on lui a enlevé son moderne boulet. Évoqué lors du spectacle, je pensais que cet épisode faisait partie de la fiction théâtrale. Mais non. Nous étions en plein dans la réalité.

Cette pièce, qui mêle avec brio le récit de l’atelier et la fiction collectivement inventée, n’est-elle pas une illustration quasi parfaite – emblématique- du droit à l’épanouissement culturel de tous les citoyens, à commencer par les plus défavorisés, fragilisés, marginalisés ?

Elle a en effet permis à des personnes n’ayant jamais mis le pied dans un théâtre, non seulement d’assister au spectacle, mais aussi, pour certains d’y participer en tant qu’acteurs.

Missing illustre l’importance du dire et nous rappelle que tout ce qui paraît impossible à changer en ce monde peut être exprimé, revisité, transformé, souligne Gennaro Pitisci. Cette quête relève d’un engagement artistique et politique qui traduit notre fascination pour tout ce qui relie les hommes.

Kris Kaerts

Petite soirée théâtre à Molenbeek

Kris Kaerts - PLOEF! Plus On Est de Fous...

Samedi dernier, j’ai assisté au spectacle Les Enfants de Dom Juan à la Maison des Cultures de Molenbeek.

À l’affiche : les complices Ben Hamidou et Sam Touzani, à nouveau réunis des années après le légendaire spectacle Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée…

Sam Touzani, dans le rôle d’un comédien provocateur doté d’une mission visant améliorer le « vivre ensemble » dans le quartier suite aux attentats de Bruxelles et Ben Hamidou, dans celui d’un concierge de théâtre, rendu fou par les situations rocambolesques auxquelles il est confronté.

 

Magnifique ! Un théâtre qui vous fait rire et pleurer à la fois. Une pièce magistrale!

 

Les Enfants de Dom Juan est un spectacle plein d’esprit, intègre, et constitue une recherche scénique. Pendant la représentation, le spectateur ressent tout ce qui a dû se passer en coulisses avec les acteurs.

La pièce arrive à établir un équilibre entre la suggestion et la liberté d’interprétation du spectateur, avec quelques punchlines bien senties…

 

Des hommes entre eux et un spectacle qui se termine par la musique The Time of the Gypsies, oui, voilà une séquence lourde en émotions dont j’ai dû me remettre.

 

Ce que l’on retient de ce spectacle : deux artistes avec leur metteur en scène Gennaro Pitisci qui, indépendamment d’un humour irrésistible, sont préoccupés par des questions telles que :

  • Comment se positionner en tant qu’artistes face au monde qui nous entoure ?

  • Quel est le rôle du théâtre dans ce chaos qu’est devenu le théâtre du monde en 2016 ?

 

Ce questionnement eu lieu à Molenbeek, depuis le quartier dans lequel les deux comédiens ont eux-mêmes grandi. Dans cette commune qui a à la fois changé avec les attentats et en même temps est restée la même, ou qui n’a pas changé assez vite… De quoi vous clouer sur votre siège.

 

La salle était pleine. Remplie de molenbeekois mais aussi de curieux qui n’habitent pas la commune. Autre chose importante à relever du point de vue du spectateur : la curiosité pour la particularité de Molenbeek.

Les molenbeekois souffrent parfois d’un manque d’orgueil, dans le sens positif, disons d’un « Dikkenek » bruxellois.

Ce dont Molenbeek a tant besoin et qui a été négligé pendant tant d’années, ce sont des endroits où les molenbeekois et les non-molenbeekois peuvent créer et construire un socle commun. Que ce soit un théâtre, une salle de fêtes, une école de cirque, un jardin bio ou un café.

 

J’ai assisté à la représentation par amour du théâtre mais aussi par solidarité.

J’avais lu dans la presse qu’il existait une sorte de sabotage silencieux à l’égard de la pièce à Molenbeek. Cela m’a été confirmé par Ben Hamidou après le spectacle.  Il ne faut pas sous-estimer cela. Je refuse de participer à une sorte d’omerta qui tairait des choses qui existent vraiment ou se disent à Molenbeek et qui sont intolérables.

J’ai horreur de l’attitude des politiques socio-culturelles ou des travailleurs sociaux qui considèrent Molenbeek come un atelier protégé dont on ne peut dire que du bien.

 

En tous les cas, il s’est avéré ce soir-là que j’étais sur liste d’attente  par manque de places !

 

Une petite soirée théâtre à Molenbeek. Cette phrase est déjà elle-même lourde de sens. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul endroit à Molenbeek où on peut montrer une pièce de théâtre de qualité et jouée par des professionnels : la Maison des Cultures et de la Cohésion sociale.

La présence d’un tel lieu est d’une importance primordiale. Et pourtant nous pouvons nous poser la question : n’est-ce pas trop peu ? Un seul petit théâtre avec une capacité d’à peine deux cents places assises dans une commune de cent mille habitants (chiffre officiel !) quand la zone de l’autre côté du canal grouille de théâtres ?


Quand j’entends par exemple Guy Gypens, du Kaaitheater, dire à l’occasion de la dernière édition du festival  Burning ice  « qu’il n’y a jamais eux d’art aussi radical », j’ouvre de grands yeux.
Quand j’entends annoncer qu’en ces temps d’austérité, ce même Kaaitheater s’étend parce qu’on lui a promis les moyens, je pense à ce qui se passe de l’autre côté du canal, avec la gentrification de la zone-canal, ce processus qui ne prend pas en compte les besoins des résidents et ne reconnaît pas leur réalité.


Je passe beaucoup de temps à Molenbeek ces derniers temps. Et dans ses cafés. Quoiqu’il faille encore beaucoup chercher aujourd’hui pour y trouver un café qui vend de l’alcool.

Je réalise un documentaire sur les familles tenancières d’un café et leurs clients. J’écoute les récits des Molenbeekois qui ont vu leur commune changer depuis leur arrivée dans les années 60-70.

Un vieil homme sage m’a fait la leçon il y a peu : « le problème, c’est l’éducation, Kris.

Combien de bonnes écoles y a-t-il à Molenbeek ? Combien de librairies connais-tu ? Combien de magasins de journaux ? Combien de cinémas et de théâtre ?  Il n’y a même pas de distributeurs d’argent automatiques ! Quel résultat attends-tu ? Tu livres l’espace aux obscurantistes et tu atterris au Moyen-âge ! » 

 

S’il est déjà allé prier dans une mosquée ? « Oh oui, il y a des années. Le jour où j’ai entendu un prédicateur invité raconter que la destruction des statues de Bouddha en Afghanistan était une bonne chose, je me suis levé et je suis allé boire une bière. Je me disais : je suis ici parmi une bande de sauvages ! »

Et là, je rebondis sur la question: qui ici tente de saboter les représentations de deux constructeurs de ponts talentueux dont les racines plongent dans la communauté molenbeekoise?

Personne n’est venu le revendiquer.

On ne peut pas accepter cet état de fait comme un photographe de guerre qui dirait : « c’en est fini pour moi ici », laissant s’installer une monoculture dangereuse avec des relents islamo-fascistes. Il ne faut pas minimiser de telles voix. Nous devons regarder les bons côtés de Molenbeek et aussi les moins bons et surtout réaliser que Molenbeek est une commune de 100.000 habitants qui a toujours été une commune de transit,  où les plus pauvres de la ville s’installent. Nous ne pouvons pas la juger trop vite ou penser que nous l’avons comprise.

Des gens incroyablement authentiques y habitent et il s’y passe aussi des choses fantastiques. Et parmi eux, certains sont fiers d’être molenbeekois sans pour autant refuser l’autocritique.

Nous devons surtout rester curieux et applaudir ces gens qui osent lever la voix, comme je l’ai vu ce samedi soir, à la Maison des Cultures.

 



 

 

Qui veut la peau des Enfants de Dom Juan ?

Catherine Haxhe - ESPACE de libertés (Mensuel du Centre d'Action Laïque) Septembre 2018

Gennaro Pitisci et Sam Touzani signent pour le Brocoli Théâtre un texte subversif, irrévérencieux et drôle, qui fait exploser les frontières des ghettos et embrasse les valeurs de la laïcité. En juin dernier, nous avons suivi les terribles enfants sur la scène et dans les coulisses de l’Espace Magh.

 

« Nous sommes tous si différents ! Ha bon ? En êtes-vous si sûrs ? Ne pourrions-nous pas, malgré les apparences, être frères et soeurs ? Prenez Nordine et Pierre, par exemple, des prénoms pareils, ça peut cohabiter, se croiser tous les jours dans le quartier ou au travail, mais le soir, chacun rentre chez soi et retrouve son dialecte le plus intime, celui qu’on ne partage qu’avec les siens. Et pourtant... » Voilà la trame du magnifique spectacle Les Enfants de Dom Juan.

 

La pièce s’ouvre sur la déception de Nordine (Ben Hamidou), concierge d’un théâtre situé dans un quartier populaire de la ville, interdit de vacances familiales au Maroc par un directeur qui menace de le licencier. Il va non seulement devoir rester à Bruxelles mais il sera également chargé d’accueillir un artiste dont il va partager le quotidien pendant un mois. Il s’agit de Pierre (Sam Touzani), comédien nomade qui prépare un spectacle pour les gens du quartier traumatisés par les attentats. Obsédé par le personnage de Dom Juan, Pierre tente de révéler à Nordine qu’ils sont en réalité frères et pas seulement en humanité.

 

Affrontements fraternels

 

« L’idée de s’inspirer du mythe de Dom Juan est née durant la longue diffusion du spectacle Gembloux, à la recherche de l’armée oubliée, créé en 2004 au KVS par le Brocoli théâtre »,précise Gennaro Pitisci, metteur en scène. « C’était la première fois que Sam et Ben jouaient ensemble. Vous savez, Ben est resté dans le quartier historique de Molenbeek où il a grandi. À l’époque (en 2005), il n’avait pas honte de dire qu’il était comme « marqué au fer rouge de l’appartenance » ».

Sam, lui, a quitté Molenbeek il y a longtemps. C’est un garçon qui n’a pas la langue dans sa poche. Pendant la création et les tournées du spectacle Gembloux, de 2003 à 2012, ils ont beaucoup discuté et je m’amusais de leurs petits affrontements quotidiens et fraternels. Ces joyeuses joutes verbales étaient assez révélatrices des tensions que vivent les personnes issues des récentes immigrations, et ça renvoyait aux scène de Molière, celles qui voient s’opposer le contestataire Dom Juan à son valet, le soumis Sganarelle.

 

Du script à la scène

 

« C’était un merveilleux fil rouge pour un spectacle », confie Sam Touzani. « Avec Gennaro Pitisci et Nacer Nafti, on s’est rapidement mis au travail en commençant par s’intéresser au mythe de Dom Juan, le subversif, l’athée jeté aux enfers. Mais à un moment donné, Ben s’est senti coincé, il ne se sentait pas prêt à dire sur scène et devant la communauté ce qu’on écrivait. Son personnage dans le spectacle s’adresse d’ailleurs à son fils de cette façon : «  tu peux penser ce que tu veux mais pourquoi tu le dis devant tout le monde ? » »

Ce n’est qu’en 2015 que Ben Hamidou, bouleversé par les évolutions inquiétantes d’une partie de sa communauté, mais aussi effrayé par les différents attentats islamistes, décide de revenir vers Sam et Gennaro et de relancer le projet. Sam Touzani, étonné et ravi, accepte de le suivre. Le travail de création reprend donc avec l’appui de la Maison des cultures et de la cohésion sociale de Molenbeek, située au coeur du centre historique qui a vu grandir les deux artistes.

 

La pièce est assez mal accueillie par la communauté à ses débuts mais au fil des représentations, elle réussit finalement à se faire une place de choix au sein des programmes d’écoles : ainsi se multiplient les matinées scolaires nourries par les échanges entre Sam, Ben et les jeunes de tous horizons à l’issue de la représentation. Nos deux comédiens tombent les masques, sur ce qui les a construits humainement, ils se moquent tendrement de leur enchevêtrement de racines belgo-marocaines, ils sont finalement comme nous tous, frères en humanité. Et nous rappellent que pour vivre ensemble, il faut que les convergences prennent le dessus sur les divergences.

Qui veut la peau
Mussche
coeursettêtes
Suricate
Prophètehumanité

Sam Touzani, libre de corps et d'esprit

Stéphanie Bocart - La Libre Belgique 14/01/2020

"J'ai été souvent, modestement, un mec des premières fois", lance Sam Touzani. Sourire généreux sous des pommettes saillantes et un regard pétillant, l'artiste aux mille facettes - comédien, auteur, metteur en scène, danseur et chorégraphe - investissait, la semaine dernière, pour la première fois, le théâtre communal totalement rénové de La Louvière (Central) avec son nouveau spectacle Cerise sur le ghetto - Le pouvoir de dire non, avant de le présenter dès ce 16 janvier au Blocry à Louvain-la-Neuve. "Central est un théâtre immense!" , s'exclame-t-il tel un enfant émerveillé depuis le plateau en désignant la salle : "Mille places!"

"Mon terreau, ce sont les histoires humaines"

 

L'homme des premières fois, disait-il..."Mes parents, originaires du Rif marocain, ont émigré en Belgique en 1965. Ils sont de la première génération. Et moi, je suis l'un des rares de la deuxième génération à avoir l'âge que j'ai (NdlR : 51 ans) et à être né en Belgique parce que la plupart sont venus petits, reprend-t-il. J'ai aussi été le premier Bruxellois marocain à présenter des émissions à la RTBF (NdlR : dans les années 1990). Et quand j'ai débarqué à l'Insas, il n'y avait pas un bronzé".

Il analyse : "Je me rends compte qu'il y a comme ça plein de milieux où je débarque et où j'ai l'impression qu'il faut ouvrir les portes et défricher, car on ne s'est pas encore posé toute une série de questions"."Mais, nuance-t-il, ce n'est pas moi qui me les pose ces questions, c'est le regard des autres qui fait que je me les pose. Du coup, boum!, la machine s'enclenche. Et cette petite machine ne s'est jamais arrêtée. Jamais. Je ne sais pas si c'est une petite machine, une petite bête, un petit ange gardien. Ou peut-être est-ce ma conscience. Voilà. je cherche à augmenter ma conscience, à essayer de ne pas mourir trop naze."

Optimiste, profondément humaniste, militant laïc, engagé, frondeur, insatiable curieux et amoureux des mots, Sam Touzani le reconnaît sans ambages : « aujourd’hui, je n’ai plus aucune patience pour les adultes qui ne partagent pas une vision universaliste du monde alors qu’avant, je passais des heures à essayer de les raisonner. » Néanmoins, « ça ne veut pas dire que je suis défaitiste. Ça veut juste dire qu’on ne peut pas lutter à armes égales sur le plan intellectuel avec des gens qui ont déjà choisi une idéologie mortifère ». Mais si l’on veut tout de même entamer cette lutte ? « Alors, on doit faire une purge des discours et toucher les cœurs, estime-t-il. C’est là qu’intervient le spectacle. Ce qui rend un spectacle intéressant, c’est notre pouvoir d’empathie : parler de quelque chose de profondément singulier, personnel mais à vocation universelle. Et moi, mon terreau, ce sont les histoires humaines. »

"Non" à l'injustice

 

D'histoire, il nous conte dans son nouveau seul en scène celle de sa famille, à travers trois générations (son grand-père, ses parents et ses frères et soeurs), des montagnes du Rif marocain au macadam de Bruxelles. 

Un spectacle qui est donc plus personnel, plus intimiste. « Je me sers de mon histoire personnelle pour réinterroger le réel. Avec ce spectacle, j’ai l’impression de rentrer dans ma bulle affective, d’aller dans mes zones d’inconfort », confie-t-il.

Pour comprendre, il faut remonter à ses racines. « Je suis le résultat de l’éducation de femmes. Ça oriente une grande partie de ma vie, pour ne pas dire complètement. » Né en 1968 à Molenbeek dans un deux-pièces cuisine chauffé au charbon, Sam Touzani est l’avant-dernier d’une fratrie de sept frères et sœurs (quatre garçons et trois filles). Élevé dans la plus grande tradition musulmane, il vit sous le joug d’un père aimant mais terrorisant et de trois frères aînés « avec qui j’en ai bavé ». C’est donc auprès de sa maman et de ses sœurs qu’il trouve du réconfort mais aussi une ouverture sur le monde. «Être un enfant, un garçon de culture berbéro-arabo-musulmane d’origine marocaine à Bruxelles avec une grande sœur féministe et une mère qui est une battante, ça change la donne parce qu’on ne regarde plus le monde de la même façon. » Car, si Sam Touzani surnomme son père dans le spectacle « l’incroyable Hulk », il ne s’est pas transformé en ogre, il n’a pas bouffé ses enfants parce que ma mère le gérait ; c’est elle qui portait le pantalon ».

Pour illustrer la force de caractère de sa maman, l’humoriste parle pour la première fois « ouvertement » dans un spectacle d’un drame particulièrement éprouvant qu’elle a vécu. C’était en 1972. Accompagnée de sa fille aînée, elle s’était rendue au consulat du Maroc pour obtenir les documents pour retourner au pays. « Mais, outre l’argent officiel pour payer les différents timbres fiscaux, etc., on lui a demandé de payer les bakchichs. Elle a refusé. Elle a dit « non ». Elle a alors été emmenée dans la cave du consulat où elle a été tabassée et ma sœur pratiquement violée, avant d’être toutes deux jetées sur le trottoir. » Ce pouvoir de dire « non », « ce « non salvateur », « m’a constitué », estime Sam Touzani. « En 1972, j’ai quatre ans et je vais vivre avec cet héritage où ma mère a dit « non » au pouvoir marocain, à la dictature hassanienne. C’est à partir de ce drame où ma mère s’est opposée à l’injustice que toute notre famille va se solidifier, évoluer. »

Du stoemp saucissice et Norge

 

Si le petit Sam grandit et se construit dans ce noyau familial, les temps sont toutefois difficiles. « Chez moi, ça gueulait… J’ai donc été beaucoup en colonie et placé en centre médical pédiatrique. Et heureusement ! J’ai adoré !, se souvient-il. J’allais à l’école là (Ndlr : internat), il y avait la nature et des animaux, tout le monde était gentil, je mangeais du porc – j’adorais le jambon - , j’adorais les macaronis, le stoemp saucisse. Et puis, j’avais envie d’être là, de m’intégrer. » Ce désir de s’intégrer, de suivre ses propres choix en dehors de tout diktat culturel et religieux, il l’apprivoise au fil du temps, de rencontres et de ses découvertes littéraires. « Lorsque j’avais 12 ans, une prof de français m’a mis en main des textes de Norge (Ndlr : poète bruxellois) et j’ai su que je voulais devenir comédien. » Parallèlement, alors que ses parents, ouvriers, ne savent ni lire ni écrire, il découvre Camus, Sartre, Moravia, Gorki… mais aussi la littérature maghrébine dans les bibliothèques de ses sœurs. « Fervent croyant » jusqu’à ses 12 ans, le jeune garçon se détache ainsi également peu à peu de la religion. « D’ailleurs, aujourd’hui, je vis pleinement une spiritualité sans dieu, affirme-t-il, mais une spiritualité quand même. Il faut arrêter de croire que la spiritualité est le fait du religieux. Non ! La spiritualité est humaine : on a besoin de se recueillir sur soi pour réfléchir, penser, méditer. Mais je n’ai pas besoin de copains imaginaires pour ça. Je n’ai pas besoin d’Allah, de Jésus, de Bouddha ou du Père Noël qui bosse pour Coca-Cola. »

Se délester du poids de la culpabilité

 

Néanmoins, trouver sa place entre sa culture d’origine et sa culture d’adoption fut un long cheminement au cours duquel il dut œuvrer à se délester du poids de la culpabilité, celle de sa famille et la sienne. « Celui qui part a toujours l’impression de trahir, de laisser les siens, ses terres, de les abandonner d’une certaine façon, explique Sam Touzani. Quelle que soit la nationalité, c’est très difficile à gérer. Malheureusement, parfois cela se transmet de génération en génération avec certains qui n’ont jamais connu l’exil, qui sont ici et reproduisent la culpabilité de leurs parents et certains schémas ». Comment a-t-il géré l’héritage de cette culpabilité ? « C’est une question à laquelle je réponds dans le spectacle : je dis que je dépose les bagages de la culpabilité et du non-dit, qui souvent vont de pair ». Quant à sa propre culpabilité, « je m’en suis débarrassé assez vite, c'est-à-dire quand je me suis débarrassé de la religion, vers 18-19 ans. Je vivais seul à Bruxelles et je me suis dit : « Pense par toi-même. Construis ta propre vie ».

Ce qui le met sur la voie de cette réflexion, « c’est l’alternative, l’altérité, à savoir ne plus penser dans un schéma de pensée tel qu’il est à la famille, mais de pouvoir penser au pluriel ». Une réflexion nourrie par son métier de comédien, d’auteur, ses lectures, ses rencontres et son rapport au corps. "Jai fait 20 ans de danse, rappelle-t-il. On ne peut pas se libérer de sa tête si on ne se libère pas de son corps. Et ce n’est pas que physique, charnel. Tout d’un coup, il y a autre chose qui se dessine : sa liberté par rapport à sa famille et à soi, sa propre manière de fonctionner, d’être, de vivre ». Une liberté d’esprit qui, suffisamment aguerrie, lui a permis de sortir du ghetto, « car c’est une illusion de croire qu’il se limite à la géographie ou la topographie, signale-t-il. Le ghetto, malheureusement, nous le transportons avec nous et il est souvent dans notre tête : c’est l’idée que l’on se fait et notre rapport au religieux ou l’autre qui fait qu’on se ghettoïse ou pas. C’est un état d’esprit. Et je suis la preuve vivante qu’on peut venir du ghetto de Molenbeek dans les années 70 80 et suivre un cursus artistique classique sans jamais être tombé dans le côté obscur ou dans une situation qui aille à l’encontre de l’idée de liberté ».

Au Théâtre Blocry : "Cerise sur le ghetto" de Sam Touzani

Dominique Mussche Rtbf.be 23/01/2020

Sam Touzani, c’est un vieux routier des planches qu’on retrouve, presque un ami ; voilà plus de vingt ans qu’il nous parle, sans tabou, d’identité, de religion, de sexualité et d’intégration. Nous l’avons connu virulent, éructant contre les pesanteurs de la religion et des traditions familiales, mais aussi le racisme et la violence coloniale. Avec toujours cet humour qui crée la distance salutaire et aiguise la réflexion.

Dans ce quatrième solo, il se fait plus tendre et nous entraîne dans une quête/enquête intime : qui sont ses parents, ces rifains exilés à Molenbeek pour fuir la misère de leur terre natale? Pourquoi le père parle-t-il tout seul, étranger à sa famille, réfugié dans la prière ? Nous découvrirons le secret enfoui et la culpabilité paralysante, comme une blessure impossible à guérir. En féministe militant, Sam Touzani nous fera aussi l’éloge de sa mère, la passionnée de justice qui osera dénoncer la tentative de corruption au consulat marocain de Bruxelles. Du haut de sa cinquantaine, il jette un regard ému sur ces parents à la fois si proches et si lointains ; maintenant qu’il s’est construit une identité, à la fois avec et contre eux, une identité faite de tous ces courants qui s’entrecroisent et s’enrichissent, il n’a plus à se justifier.

Mais le Touzani libre-penseur ne peut s’empêcher de fustiger l’emprise persistante de la religion dans sa commune de Molenbeek et la haine de l’Occident qui s’y exprime trop souvent. Ne peut-on croquer une cerise dans la rue un jour de ramadan sans se faire insulter ? Le sous-titre du spectacle, "Le pouvoir de dire non", prend alors tout son sens.

Gennaro Pitisci, complice de longue date, met en lumière tous les talents de cette bête de scène : sa forte présence, sa souplesse de danseur et son charme. Autre atout : Sam Touzani n’est pas seul sur le plateau. Derrière un voile se cache Mathieu Gabriel, formidable homme-orchestre qui déploie tout au long du spectacle des paysages sonores tissés de musiques, de sons, de bruitages en direct. Un subtil accompagnement qui élargit l’horizon des mots et stimule l’imagination du spectateur.

Bref, dans "Cerise sur le ghetto", vous retrouverez Sam Touzani comme vous l’aimez : profond et léger, grave et souriant, acide et bienveillant.

Sam Touzani touche les cœurs et les têtes

Stéphanie Bocart La Libre.be 22/01/2020

 

"Pour toucher les têtes, il faut d’abord toucher les cœurs”, répète à l’envi l’humoriste, auteur, comédien, danseur et chorégraphe Sam Touzani. Et le moins que l’on puisse écrire, c’est qu’avec sa dernière création, Cerise sur le ghetto. Le pouvoir de dire non, il atteint parfaitement sa cible.

Dès l’entame de son spectacle, Sam Touzani prend le public par la main pour l’emmener sur les chemins sinueux de son histoire familiale, des terres ensoleillées du Rif marocain au deux-pièces cuisine chauffé au charbon de la chaussée de Gand où il a vu le jour.

“Mon père parle tout seul”

Son récit, mis en scène par son complice de toujours Gennaro Pitisci, il le construit autour d’une question : “Depuis que je suis tout petit, j’essaie de comprendre pourquoi mon père parle tout seul”. Et nous voici au Maroc, où son père, “un soliloque permanent”, est raillé par les gamins du village le traitant de “fou”. “Mais, ça, c’était avant ma naissance, raconte Sam Touzani. Ici, on est en Belgique et je ne veux pas qu’on traite mon père de fou”. Lui, son père, patriarche à la tête d’une famille de sept enfants ayant émigré en Belgique en 1965, il le qualifie plutôt d’“Incroyable Hulk”, homme aimant sous ses airs un peu rustres, que seule sa femme parvient à dompter.

Pour faire voyager les spectateurs d’un continent à l’autre et d’un personnage à l’autre (son père, sa mère, son grand-père, un consul…), Sam Touzani est accompagné sur scène par le musicien Mathieu Gabriel. Dissimulé derrière ses platines par un large voile (faisant également office d’écran), il manie avec subtilité musiques et bruitages, insufflant au récit une dimension sensorielle opportune. Car, si Cerise sur le ghetto est teinté d’humour – Sam Touzani use avec finesse et intelligence de la langue française –, c’est aussi, et surtout, un spectacle empreint de tendresse et d’amour. Pour les siens, d’abord, mais aussi pour son pays d’origine et sa culture d’adoption. Pourtant, sous cette tendresse, sous ce récit aux notes drôles et au parfum d’Histoire, on perçoit aussi de la souffrance : celle de ne pas avoir toujours été compris par son père, d’avoir été “le punching ball” de ses trois frères aînés, de payer le prix de son intégration envers et contre tout (le poids de la communauté, de la religion, de la culpabilité,…).

En traversant ainsi les frontières et les années, Sam Touzani retrace non seulement le parcours de sa famille mais décode également ce qui l’a forgé en tant qu’artiste et homme libre, engagé, laïc et féministe : ses lectures, caché dans les toilettes ; sa maman qui a osé dire “non” en 1972 au pouvoir marocain ; ses questionnements sur l’islam ; etc. Une quête de soi qui devient universelle en nous confrontant à nos propres doutes et certitudes sur l’Autre.

Interview-vérité avec Sam Touzani a propos de son nouveau spectacle Cerise sur le ghetto

Myriam Watson - Suricate Magazine 30/01/2020

Dans son nouveau spectacle Cerise sur le ghetto, vu à l’Atelier Théâtre Jean Vilar, l’artiste polyvalent Sam Touzani revient sur son enfance et en particulier son rapport à un troublant père soliloque. Il livre dans ce one-man show, bien écrit et volontiers polémique, sa vérité par rapport a son questionnement identitaire et à la culpabilité de l’exil,  avec une belle présence scénique. Nous l’avons rencontré pour faire le point sur son parcours, ses espoirs et son identité plurielle.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce spectacle ?

Je travaille depuis deux ans dessus. Pour la première fois à 50 ans, j’ai passé le cap et j’ai eu une fille. Cela a été un chamboulement. Du coup, dans l’écriture tout a été beaucoup plus ramassé, comme si tout se débloquait. Dans ce spectacle, j’ai voulu creuser comment on gère le rapport à l’exil et à la culpabilité, comprendre le non de ma mère et l’affaire du consulat [où sa mère et sa sœur ont été violentées]. Ce non a été constitutif : j’ai vu ma mère dire non à la répression et à la dictature et affirmer ses droits au sein de la famille.

Comment vivez-vous la cinquantaine et votre rapport à votre métier ? 

Je n’ai pas vraiment eu de crise de la cinquantaine, peut-être que ça viendra. J’ai transformé mes crises en créations. La résilience a fonctionné chez moi, cela permet d’exorciser. J’ai fait une analyse de 20 ans. Pendant des années, j’ai pensé que je faisais ce métier la uniquement par passion. Je fais aussi ce métier en tant que thérapie. C’est évident mais je ne voulais pas me l’avouer. Ce métier me permet de mettre à distance, d’avoir du recul par rapport a son histoire personnelle, de réinterroger l’histoire des autres, la réalité et ce qui va bien ou pas. Cela m’a aidé à grandir. Je pense que cela a été une question de vie ou de mort pour moi de faire du théâtre et de danser, cela m’a complètement constitué. Cela m’a permis d’être un autre homme, au-delà des valeurs, des engagements politiques. Je me méfie énormément de l’idéologie.

Qu’avez-vous voulu dire sur l’exil et la culpabilité ?

Je le dis dans le spectacle : Je décidé de rompre avec la culpabilité et le non-dit. La question de l’exil mène à la culpabilité. Celui qui part est toujours considéré comme celui qui trahit parce qu’il ne revient pas, parce qu’il a quitté sa terre et les siens. Le mythe du retour est vite tombé dans les années 60 en Belgique et en France parce que les enfants sont nés et que le contexte d’ici était plus fort que celui de là-bas, qui était assez miséreux. Avec l’histoire du consulat, ma famille est rentrée dans l’opposition et a été très consciente de la réalité marocaine avec ses dérives et limites. On a combattu Hassan II à l’époque et son fils maintenant qui s’est enrichi et qui laisse le peuple dans la misère et enferme les rifains. Quand est-ce que ca va s’arrêter?

Ceux qui partent sur des embarcations de fortune dans la Méditerranée, à qui je rends hommage, ce sont des sub-sahariens et des marocains. Ce qui est fou, c’est que souvent les marocains du Maroc qui veulent partir et qui ont étudié, sont beaucoup plus ouverts que certains qui sont nés ici. Quelle régression et pourtant nous sommes dans un pays de droit qui offre toutes les opportunités, avec des soins de sante et l’éducation gratuite pour tous! Quelle chance. C’est pour ca que je fais dire a mon père a la fin du spectacle: “on a bien fait de venir ici, c’est bien la Belgique”. On n’entend pas assez dire par les gens de la première et deuxième génération que c’est bien la Belgique. Tout ne fonctionne pas ici, mais je pense que la meilleure des choses que mes parents aient faite, c’est de venir en Belgique. Je vois bien dans ma famille restée au Maroc à quel point cette société est schizophrène. Mais il y a eu plein de ratés chez nous aussi, car ce n’est pas parce que tu sais, que tu comprends, que ça va fonctionner, ce serait trop facile.

Comment est votre rapport à la communauté marocaine en Belgique ?

Quand j’ai dit la première fois, il y a 20 ans que je suis un libre penseur et que je ne croyais pas en dieu, mes affiches ont été arrachées et j’avais 50 mecs qui m’attendaient a la sortie. Il faut gérer tout ca.

Dans la communauté dite arabo-musulmane ou marocaine, la liberté individuelle est pratiquement néante. C’est le collectif qui gère: c’est le quand dira t-on ou le con qui le dira… On vit en mettant un masque en fonction des autres. C’est terrible pour moi qui suit un amoureux de la liberté et ça ne pouvait pas fonctionner avec Allah qui déteste tout ce que j’aime: le vin, la danse, le théâtre, la littérature. Je ne fonctionne pas avec des interdits.

Mais je ne fais pas une confusion entre le rejet total du dogme islamique et la culture et civilisation berbéro-arabe. Je me revendique issue de cette civilisation qui est une belle et grande civilisation qui n’a rien à voir avec le culte islamique. J’aime bien les sociologues, les poètes arabes contemporains du Maghreb et la culture orientale qui fait partie de mon héritage. Je compose mon identité, qui est quelque chose plurielle, de mouvant qui n’est pas un bloc monolithique. C’est difficile de le faire comprendre, car souvent les gens disent “si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous et si tu nous critiques, tu nous salis”. Mais ce qu’on oublie, c’est que le vrai respect des hommes et des femmes, c’est aussi le respect de leurs idées. J’ai le droit de critiquer, de ne pas être d’accord avec toi, ce sont mes idées. Il y a une confusion énorme parce qu’il n’y a pas de culture démocratique et débat d’idées.

Dans le spectacle vous mettez en avant votre mère qui dit que quand la parole se libère, le corps se libère. Dites-nous en plus.

Je pense être le premier belge d’origine marocaine à avoir donné des préservatifs à ma petite sœur en lui disant que sa virginité et son corps lui appartenaient. J’ai l’impression que ma troisième sœur voulait suivre un schéma traditionnel pour ne pas décevoir. J’ai été longtemps avec trois femmes différentes et je me suis aperçue dans mes moments de célibat que je suis peu sortie avec des marocaines. J’ai rencontré des femmes vierges à 35 ans dans des milieux intellectuels. C’est d’une violence. Il y a des régressions énormes dont on ne parle pas. Pourquoi les hommes peuvent aller baiser partout dans cette culture, mais pas les filles ? Pourquoi est-ce qu’on met à  ce point l’honneur de la famille entre les cuisses des femmes ? C’est schizophrène. Je connais des filles belges qui sont nées ici qui ont trois gsm, trois agendas différents et elles sont trois personnes différentes, dans trois relations dans des mondes totalement différents. Elle joue des rôles. Mais quand a-t-on le droit d’être soi-même ? Je pense qu’elles le font par pression et par peur, et pas par choix. Si c’est par choix, tu peux devenir comédienne et jouer qui tu veux être.

 

Quel est le devenir du spectacle ?

Le spectacle va être joué à l’Espace Magh  du 3 au 6 mars. Ensuite je le jouerai au Théâtre Le Public pour terminer la saison en fin d’année puis en tournée. Je produis, écris et diffuse mes spectacles que je peux jouer 2 à 300 fois. Pour ce spectacle, j’ai fait une super bonne équipe avec Gennaro Pitisci à la dramaturgie et Mathieu Gabriel à la musique. On est au début d’une longue aventure.

Avez-vous déjà l’idée du prochain spectacle ? Portera t-il sur votre famille ?

Souvent je commence un nouveau spectacle avec la fin du précèdent. Comme je termine avec ma fille, je vais sans doute commencer avec ma fille et le rapport père-fille.

Comment vivez-vous le fait de devenir père ?

Ma fille a 8 mois et demi. J’ai fait un enfant à 50 ans, ca change beaucoup de choses. Je suis un amoureux de la vie. J’avais une relation très forte avec ma compagne et notre enfant s’inscrit dans un projet de vie et d’amour. Je me suis posé des questions: est-ce que je vais être un bon père ? Est-ce que je vais reproduire des comportements ? Et je me demandais comment j’allais gérer car j’écris la nuit et je suis un solitaire. Ma compagne m’a rassuré parce qu’elle a eu les bonnes réponses au bon moment: “C’est très simple essayons, si ça ne te plait pas, tu peux toujours vivre seul”. Je ne savais pas à quel point un enfant est producteur de sens et provoque un amour inconditionnel. Je n’ai jamais voulu tuer l’enfant blessé à en moi, il m’accompagne. C’est une responsabilité énorme de donner la vie.  Bien sûr, je projette sans doute sur ma fille. J’ai en envie d’en faire une femme libre et libérée de tout. J’ai une femme magnifique, en plus  qui réfléchit beaucoup. Un enfant, c’est la symbolique de la vie, de la transmission et de l’accompagnement. Transmettre, vivre et voir évoluer, c’est phénoménal! La naissance de ma fille a été le plus beau jour de ma vie.

Prophète d’humanité

Dominique-Hélène Lemaire - Demandez le programme

LE POUVOIR DE DIRE NON

« Cerise sur le ghetto » est un spectacle magnifiquement engagé et passionnant, mais surtout qui vous émouvra aux larmes. Bourré d’humour berbère, islandais, ashkénaze, arabe, sicilien, turc, grec, français, italien, espagnol, belge, – c’est vous qui choisissez – il forme un bouquet d’humanité et invite à une réflexion généreuse et bienveillante sur nos relations avec les autres !

Sam Touzani, à la fois auteur et joueur… et prophète d’humanité, libère la parole et se raconte pour survivre à l’innommable. Dans un spectacle de feu, il propose une série de flashbacks pittoresques et émouvants sur son histoire familiale, tour à tour faite du sel des larmes et des épices du cœur. Il parcourt passionnément trois générations emblématiques qui bordent la Grande Histoire avec les accents poignants du réel.


« 1943-1945 Les maigres pâturages ont depuis longtemps disparu, et les Nomades ont reflué vers les oasis. Mais les cultivateurs des ksour n’ont pas eu de récolte/ … /. La recherche de l’eau et de « quelque chose à manger » a entraîné vers le Nord un vaste exode de bêtes et de gens, d’abord lent et sporadique, puis massif comme une avalanche. Des scènes navrantes surexcitent la sensibilité des Européens, témoins impuissants ; des êtres humains décharnés, au dernier degré de la misère physiologique, recourent, pour tromper la faim, à toutes les pratiques qu’on lit dans les descriptions anciennes. »

Tout débute donc dans les montagnes du Rif marocain, où la famine et la misère sont si écrasantes que même des enfants prennent, même seuls, le chemin de l’exode, c’est le cas du grand-père de Sam, qui a douze ans. Sam, le petit fils, verra le jour dans un deux-pièces chauffé au charbon à Molenbeek en 1968. Ado en 1989, il mangera un jour innocemment des cerises en plein Ramadan. Opprobre général. Il reçoit en plein visage alors la haine de sa communauté contre l’Occident, son inconcevable obsession de sacralisation de la pureté… le mépris des femmes, et de tout ce qui n’est pas musulman. La mosquée veut lui imposer le rêve toxique d’un djihad mal compris. Heureusement la Belgique veille.

Dès lors, riche d’expériences cinglantes, Sam, le fils d’immigrés, l’artiste, le comédien plein de verve, le danseur souple, rassemble ses forces pour combattre le communautarisme dans un questionnement sincère, entre la culture d’origine de sa famille héroïque et celle du pays qui l’a adopté. Il refuse le marquage identitaire. Il va réussir à relier les rives souterraines de ses multiples identités sans les réduire à une seule… Et cela jette des larmes de bonheur dans un public conquis.

Irrévérencieux, habile, convainquant, il débusque dans une langue savoureuse, le cercle infernal de la culpabilité qui ronge tous ceux qui quittent leurs terres, leurs parents, leur langue pour partir loin, très loin, là où poindra l’aurore de l’espoir, la lumière de jours nouveaux… Il réhabilite la femme, l’épouse, la mère, qui on retrouvé la grâce et la dignité de dire NON !

Merci à lui et son comparse, le musicien génial, Mathieu Gabriel, qui de son corps et de sa bouche convoque mille et une atmosphères de légende humaine. 

Quand Sam croque la cerise

Gabrielle Lefèvre -  Entreleslignes.be 20/11/2021

Manneken Pis est encapuchonné et entouré d’un linge blanc. En cercle, enlacés, les Macca gueulent leur chant d’étudiant en dansant rue de l’Etuve au cœur de Bruxelles, au centre de cette Ville foisonnante de ses 200 nationalités, langues et cultures différentes. La Grand-Place scintille de lumières soulignant la richesse des décorations des façades qui nous rappellent la puissance des guildes du Moyen Age, ces commerçants et artisans qui faisaient et défaisaient les ducs, les comtes, les empereurs…

Cette place arbore le sapin du Noël qui s’annonce, plus commercial que jamais, tant la population est avide de distractions simples en cette période tellement troublée. Se promener, se frotter, se mêler aux autres tout en gardant les distances « sanitaires » : les touristes sont eux aussi de retour, timidement encore mais bien présents, découvrant celle « plus belle Grand-Place du monde » dont nous, les anciens nous savions qu’elle n’était pendant notre jeunesse que le plus beau parking du monde ! Au coin, des barrières empêchent le rituel t’Serclaes : frotter le bras, la jambe ou le chien de cette statue en formulant un vœu. On ne peut plus le toucher, Covid oblige.

Plus loin, dans le prolongement de la rue de l’Etuve, s’étire la rue du Poinçon, siège de l’Espace Magh, centre culturel chaleureux, belle vitrine de la vie culturelle bruxello-maghrébine où tous peuvent se retrouver dans la poésie, l’humour, la créativité des âges mélangés, des origines diverses, des identités multiples qui s’enrichissent les unes des autres dans une liberté créative.

Ce soir, Sam Touzani nous propose « Cerise sur le ghetto. Le pouvoir de dire non », hommage à sa mère, à son père, à son quartier de Molenbeek, à la Belgique qui accueille et qui sauve tout en enfermant et excluant les réfugiés, les exilés, les désespérés de la pauvreté.

Seul en scène, Sam déploie un espace de liberté humaniste et politique, d’humour vibrant et tendre pour ces femmes et ces hommes de culture et de religion musulmane, mêlant des mots arabes et des accents marocains à des tirades en français irrésistibles de drôlerie. Et l’on voit la réprobation de tout un quartier lorsqu’enfant il oublie que c’est Ramadan et qu’il ne peut pas croquer cette cerise si juteuse du paquet de fruits et légumes qu’il ramène à la maison. Il décrit la circoncision censée faire de lui un vrai petit musulman et qui le coupe définitivement de cette religion.

Mais surtout, il décrit son père, un peu spécial, et sa quête pour découvrir pourquoi. Il décrit sa mère, celle qui a eu la force de dire non aux autorités marocaines, à savoir le consulat marocain à Bruxelles qui, en 1972, lui refusait son visa pour aller au Maroc, qui l’a enfermée avec sa fille de 15 ans dans la cave de sinistre réputation où étaient battus et torturés les opposants au roi du Maroc Hassan II. Une mère de famille, un jeune fille, battues parce qu’elles ne voulaient pas payer le bakchich exigé par le consul qui ne supportait pas qu’une femme demande elle-même ses documents. Une femme qui s’est relevée, qui a porté plainte, qui a fait plier le consul et révélé au peuple belge la réalité de ce pouvoir dictatorial. Une femme qui a dit non et qui a fait confiance en la justice belge. Et nous, les anciens, on se souvient de cela. Du courage extraordinaire de ces immigrés marocains communistes, syndicalistes, enseignants, pères et mères en quête de liberté, travailleurs courageux alors qu’ils étaient en butte au racisme croissant d’une population qui ne les comprenait pas, qui souffrait de ce qu’ils percevaient comme une concurrence.  

Sam Touzani joue sa pièce un peu partout mais beaucoup dans les écoles, devant des jeunes, dont de nombreux petits-enfants de cette immigration causée par la pauvreté, la répression politique et la politique économique de la Belgique qui importait ses travailleurs pour effectuer les tâches les plus pénibles.

Des petits-enfants qui ne savent pas tout cela, qui s’enferment de plus en plus dans des bulles fabriquées par les illusionnistes de la religion la plus radicale, par des faussaires de l’information, par des extrémistes des pensées dévoyées. Dans les trams et les bus de Bruxelles, ce sont les écrans des smartphones qui illuminent les visages. Chaque jeune est plongé dans cette bulle hypnotique et ne regarde plus l’autre, le voyageur à ses côtés et qu’il ignore. Dans de nombreux quartiers de Bruxelles, des jeunes femmes, importées du Maroc dans la cadre du regroupement familial, vivent recluses, sans possibilité de communiquer avec les autres habitants car elles ne peuvent pas suivre les cours de français, les maris les cantonnent dans le rôle de mère et de cuisinière. Des jeunes se radicalisent au contact de guides spirituels porteurs de haine.

Les religions divisent, voilà pourquoi Sam Touzani milite pour une laïcité, espace de paix, d’émancipation culturelle, de respect des diversités culturelles et religieuses. L’espace Magh en est un exemple.

Le Collectif Laïcité Yallah en est un autre. Je vous invite à lire sa contribution dans le cadre des Assises de lutte contre le racisme, dont les travaux au Parlement bruxellois ont débuté en avril de cette année et qui viennent de se terminer, permettant aux parlementaires d’enfin se pencher sur cette question tellement complexe du racisme.  Ce groupe de citoyens constitué de croyants et de non-croyants ayant un héritage musulman entend lutter contre le racisme en puisant « dans l’humanisme et l’universalisme des Lumières avec comme postulat de base : « je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. », comme le suggérait Montaigne. Ce sont les droits humains qui nous rassemblent, qui nous protègent.

Ce soir-là, à l’Espace Magh, avec Sam Touzani, nous nous sommes sentis humains, riant et pleurant, côte à côte, femme en cheveux, femme avec foulard, hommes jeunes et vieux, anciens à peau blanche ou à peau noire. C’était un « temps des cerises » maroxellois, une évasion de nos ghettos, une liberté accrue par celle des autres.

CERISE SUR LE GHETTO, THÉÂTRE, RENCONTRES ET FALAFEL

Chloé Van Acker & Charles Hosten

Regards N°1080 - 16/11/2021
 

Ce samedi 9 octobre 2021, une représentation du spectacle Cerise sur le ghetto de Sam Touzani suivie d’un lunch et ateliers ludiques autour de l’identité(s) s’est déroulée au CCLJ en présence d’adolescents du monde associatif saint-gillois et bruxellois. Cet évènement est le fruit d’une collaboration unissant depuis plus d’un an le CCLJ, le programme de son centre d’éducation à la citoyenneté « La haine, je dis NON ! » mais également le collectif Laïcité Yallah et la MJLJ.

En début de matinée, les différents partenaires étaient fins prêts à accueillir la soixantaine de participants qui se présentaient déjà à l’entrée. Ces jeunes, membres de la JJL, des Scouts musulmans de Belgique et d’autres associations, n’avaient peut-être pas tous conscience du programme détaillé de la journée mais avaient fait le pas de venir, le temps d’une riche journée, mettre leurs différences en commun.

« On vient pour la pièce ! », « C’est ici la maison des Juifs ? », « C’est ici pour la rencontre ? », « On nous a dit pour les Falafels ! », pouvait-on entendre dans le sas d’entrée. Tant de phrases prononcées par des mines tantôt réjouies d’être là, tantôt intimidées ou intriguées par le dispositif d’entrée de notre chère maison. Les portes s’ouvrirent bientôt sur un Mazal Café ravi de les recevoir.

« On vient pour la pièce ! ». Oui, la veille, un décor avait été monté dans l’auditorium afin d’assurer la représentation d’un spectacle du Brocoli Théâtre avec l’aide de la COCOF (Cohésion sociale) :« Cerise sur le ghetto, Le pouvoir de dire non ». Portée et écrite par un Sam Touzani au sommet de sa forme, la pièce invite les spectateurs à repenser le réel à partir de son histoire familiale, voyageant du Rif marocain jusqu’à Molenbeek en traversant trois générations.

Place au débat

Noir dans la salle, plein-feu sur Sam et son histoire. Des sourires se dessinent, des mines se ferment, des mâchoires se serrent, des yeux se remplissent de sentiments contraires ou contrariés, des rires se font entendre. Le récit vient rencontrer les diverses sensibilités au risque de parfois les saisir avec force mais, bien entendu, sans violence. Sam nous conte son histoire qui, confrontant ou non le spectateur, l’interroge par la force et la douceur de son propos. Certes, l’unanimité ne règne pas dans la salle puisque justement, la place est enfin ouverte au débat. A l’issue de la représentation, les jeunes discutent alors avec l’acteur et le questionnent sur ce qu’ils viennent de voir. Qu’importe la nature de la question, la réponse est toujours élaborée avec pédagogie, expérience de l’exercice, le tout dans une attitude bienveillante. Chapeau l’artiste !

Suite de la journée, retour dans le Mazal Café où un dispositif aura permis de répartir les jeunes en les mélangeant. « On nous a dit pour les falafels ! » C’est avec appétit que les participants et organisateurs se ruèrent alors sur un magnifique buffet dressé par Serge, notre responsable de l’intendance. Durant le repas, les groupes font connaissance avec leurs tables en suivant la consigne de prendre une photo de groupe. Ils parlent de la pièce. Des avis divers et/ou plus tranchés que d’autres se font entendre. Certains s’estiment insultés et avouent n’avoir guère envie de s’investir davantage dans la suite de cette journée. Car, oui, si le pavé a été jeté dans la marre, il est désormais l’heure d’en parler, de débattre et de questionner nos représentations.

« C’est ici pour la rencontre ? » Quatre groupes pour quatre ateliers ayant pour thème « L(es) identité(s) ». Quatre ateliers aux processus semblables mais aux déroulés différents, pluriels. Quatre ateliers coanimés par des animateurs de « La haine, je dis NON ! » mais également des membres du Collectif Laïcité Yallah ! Les jeunes s’installent autour de la table pour une discussion à visée philosophique les mettant en mouvement. Un mouvement de l’esprit mais également du corps. On se positionne, questionne, se repositionne, on reformule : « C’est quoi l’identité ? », question débouchant sur quantités d’avis qui, par concomitance, élaborent alors la réflexion du groupe par petites touches. Les esprits se raidissent à certains moments mais pour mieux s’adoucir à d’autres. La question des stéréotypes et préjugés fait surface, on parle de ce qui est inné et de ce qui est acquis, des différents cercles d’appartenances qui nous définissent mais qui ne suffisent pas à nous traduire dans nos nuances, nos contradictions. Tout le monde n’est pas d’accord mais le sujet est sur la table.

« Une identité, ça change »

« Il y a certaines choses sur moi que personne d’autre que moi ne connaît, mais il y a aussi des choses que d’autres connaissent de moi que moi-même je ne sais pas. », dira Simon. « Pas grave si on ne s’entend pas sur tout. Moi, même avec mon frère je me prends la tête et, pourtant, on est de la même famille, même quartier, même religion, même école, et on est jumeaux ! », dira Karim. « Une identité, ça change, ce n’est pas fixe. Par exemple, je n’aime pas les mêmes musiques qu’avant ! », précisera Nora. A la question : « Est-ce que vous êtes ce que vos professeurs pensent que vous êtes ? Khalid répondra : « Mes professeurs pensent que je suis intelligent, mais ce n’est pas vrai… », triste et persuadé de cette courageuse confidence. Une participante arrivera à le faire changer d’avis avec tact et bienveillance.

A l’évidence, quelques heures ne suffisent pas pour changer le monde. Or, certaines rencontres peuvent déboucher sur autre chose, portées par les différences et les ressemblances qu’elles véhiculent. Amener un peu d’air, « Ouvrir la fenêtre ! », comme le proposera un participant en s’approchant d’une fenêtre pour accompagner sa métaphore d’un geste symbolique. Un peu d’air frais en cette fin d’atelier où certains jeunes échangèrent leurs numéros de téléphone, à notre plus grande joie.

Fin d’après-midi, rendez-vous dans la cour intérieure du CCLJ pour une photo de groupe et un dernier moment ensemble. Afin d’accompagner le souvenir de cette journée, des badges « Attention, identitéS en construction ! » furent distribués et, pour poursuivre la réflexion entamée, tous les participants reçurent le livre de Sam : Dis, c’est quoi l’identité ? (éd. Renaissance du livre). Mais oui, c’est quoi l’identité ? Une question sans fin, c’est pourquoi nous n’en resterons pas là ! A la prochaine et merci à tous les participants, organisateurs, accompagnateurs et facilitateurs de cette belle journée !

Quelles sont les échappatoires possibles d'un gamin d'immigré ? Un seul en scène d'où s'élèvent toutes les voix de l'enfance

Aurore Vaucelle -  Lalibre.be 22/02/2022

Les jolies colonies, encore jusqu’à la fin de semaine aux Riches Claires, à Bruxelles, jouent un double jeu psychologique. Celui du revival d’un trauma d’enfance, la colonie, ce lieu imposé à l’enfant qui se sent puni. Et la colonie comme lieu d’où l’on vient vraiment, expatrié que l’on est dans ce pays dominant qui a soumis les nôtres.

Alors que se mêlent aux histoires d’intégration les blessures d’un jeune enfant trahi, on aurait pu craindre d’assister à une pièce pensum voire, pire, bien pensante.

Mais voilà que Ben Hamidou jaillit sur scène – hors de l’ombre littéralement – pour prendre à bras-le-corps le récit – son récit – de fils d’immigré algérien en Belgique au début des années septante. Et de se mettre à incarner la galerie de portraits qui ont habité sa jeunesse, dans une ronde folle de la mémoire sélective.

Être pareil, c’est pas de la tarte !

Tout avait bien commencé pour ce petit garçon venu d’Algérie avec toute la famille pour rejoindre son papa. Tout était si chouette dans la grande maison de la rue du Comte de Flandre, à Bruxelles. Tout était joie et drôlerie, même si l’on sent que ça n’était pas si tranquille que ça, quand Hamidou se rappelle : “On était prêt à faire n’importe quoi pour faire comme des Belges”.

Pour Ben Hamidou gamin, les scènes de la vie quotidienne ont pour toile de fond les incompréhensions culturelles (“La Belgique est un pays de papier”), les cours pour rattraper ces incompréhensions (ou comment porter la minijupe), le racisme ordinaire et la tournée générale qu’on observe sans y participer dans le café d’en face (chez Monique), les emprunts aux gens de souche (mascara, gomina) pour faire comme eux, et les accents des communautés d’immigrés voisines. Le gamin en question est gavé d’amour comme de pâtisseries au miel, jusqu’à ce que la banalité des conneries d’adultes vienne lui gâcher son plaisir. Pire, à lui d’en payer les pots cassés.

Le gars qui sait raconter

Au départ de ce “seul-en-scène”, oserait-on dire qu’il y a trois fois rien. Des anecdotes vintage, un fait marquant qui fait office de blessure narcissique pour notre personnage principal – débarquer à la colonie –, et une famille vaguement dysfonctionnelle. Trois fois rien, (car tout le monde trimballe son bagage) dont Ben Hamidou fait un tout enlevé, drôle, moquant autant l’immigré que “le colon”. Avec sagacité, l’auteur-interprète redonne vie aux scènes de sa jeunesse. Conduit le bus à la place du chauffeur Johnny. Prend la voix chevrotante de la sœur qui dirige la colonie. Ment comme son père. Zozotte comme le petit voisin de dortoir, la nuit.

Ce texte écrit à six mains – Ben Hamidou en compagnie de Gennaro Pitisci et Maïté Renson – est joli, bien sûr, mais pas que. L’auteur n’oublie pas d’injecter toute l’intelligence sociale que possède déjà ce gamin de six ans, qui a tout à fait compris son statut, sa filiation, et donc sa différence. Les Jolies colonies redisent avec tendresse qu’on trimballe toujours avec soi l’enfant qu’on a été.

BEN HAMIDOU ET LES FANTÔMES DE L'ENFANCE

Catherine Makereel - Le Soir 22/02/2022

Assister aux spectacles de Ben Hamidou, c’est comme feuilleter son album de famille.

Dans Sainte Fatima de Molem déjà, le comédien nous baladait dans les rues de son enfance, esquissant quelques portraits intimes comme cette grand-mère paternelle, Hanna, Berbère tatouée de la tête aux pieds comme un chef Indien. D’où son surnom : Geronimo.

Après nous avoir conté sa jeunesse à Molenbeek, ses oscillations entre les cultures, sa première excursion de l’autre côté du canal pour aller étudier l’art dramatique à l’académie, l’artiste rembobine encore un peu plus le fil de son histoire pour zoomer sur ses premiers pas en Belgique et un épisode familial douloureux, qui le marquera à jamais.

 

Lui qui s’est fait une place particulière dans le paysage culturel belge francophone, promenant son talent au cinéma, dans des univers aussi variés que celui des frères Dardenne (Deux jours, une nuit) et celui de Nabil Ben Yadir (Les barons), lui qui, à force d’ateliers enthousiastes à Molenbeek, amène le virus du théâtre à de jeunes qui pourraient bien suivre ses traces, c’est avec une simplicité poignante qu’il creuse, de solo en solo, cette histoire particulière qui le lie à la Belgique.

Avec une chaise et un drap blanc pour seuls accessoires, Ben Hamidou nous captive pendant une heure en remontant avec humour et tendresse le fil de ses souvenirs.

 

Dans Les jolies colonies, il démarre son histoire sur le bateau qui quitte Alger pour emmener sa copieuse famille entamer une nouvelle vie en Belgique.

Dans les années 60, la joyeuse troupe (une trentaine de personnes tout de même !) déniche une grande maison, rue du Comte de Flandre.

Une famille par étage et des grands soupers festifs, chaque soir, pour se retrouver.

INCIDENT FAMILIAL

En jonglant subtilement d’un personnage à l’autre – sa grand-mère, son père, sa mère, ses tantes –, le comédien ressuscite cette période heureuse par de petits détails cocasses, comme ces kilomètres de papier peint fleuri sur les murs. Comment dès lors trouver un mur suffisamment blanc pour projeter (grâce à un dispositif bidouillé sur un appareil Moulinex) les films amateurs de l’oncle Bachir ? En investissant les murs des toilettes pardi, quitte à ce que la famille se serre un peu aux premiers rangs. De l’ambiance musicale assurée dans la rue par le café d’en face (Chez Monique) aux leçons de savoir-vivre dispensées par l’oncle Bachir, toujours lui, érigé en maître ès coutumes belges, c’est une enfance modeste mais bienheureuse qui se dessine jusqu’à ce qu’un incident familial fasse exploser la vie du petit garçon alors âgé de 6 ans.

Celui-ci est alors envoyé en « colonie », une sorte de pensionnat qui ne dit pas son nom, tenu par des sœurs catholiques. Les nuits de solitude profonde, dans les dortoirs.

Les sales coups qu’il subit de ses copensionnaires. Le sentiment d’abandon mais aussi de dépaysement dans ce château loin de Bruxelles, cerné par les sangliers et rythmé par les boudins-compote aux repas. Mis en scène par Gennaro Pitisci et Maïté Renson, Ben Hamidou déroule en douceur mais avec le brio d’un caméléon, une galerie de personnages hauts en couleur. Policiers, juge pour enfant, grand-mère épicurienne, gouailleuse nonne italienne, autocariste fêtard : les incarnations s’enchaînent sans temps mort pour faire honneur à cet enfant en lui qu’il s’est promis de ne jamais oublier. Un enfant qu’on a privé de mots, de considération, d’explications sur ce qui lui arrivait. Un enfant qui a sans conteste façonné l’homme qu’est aujourd’hui Ben Hamidou, insatiable

raconteur d’histoires.

"CERISE SUR LE GHETTO" : AVEC SAM TOUZANI, IL Y A LE FEU AU LA(Ï)C

Catherine Makereel - Le Soir 17/03/2022

Musulman par naissance, athée par conviction, Belge de nationalité, zinneke de cœur, Sam Touzani retrace son histoire familiale dans un seul en scène très drôle, sincère, vivant. Il y célèbre ses parents (analphabètes, mais non moins philosophes) et y fustige les communautarismes.

 

On serait tentée d’écrire que Sam Touzani a repris son bâton de pèlerin, si l’expression n’était pas malvenue pour un artiste qui pourfend justement l’emprise du religieux et défend, inlassablement les vertus de la laïcité, prérequis selon lui, à un dialogue apaisé entre les différentes identités qui composent notre société. Il y a pourtant bien quelque chose de l’ascète déterminé dans la marche imperturbable de cet homme qui, depuis des années et malgré les intimidations violentes dont il fait l’objet, moque les intégrismes de tout bord, tout en racontant sa propre histoire, faite d’immigration et d’émancipation. Depuis Gembloux, où il retraçait aux côtés de Ben Hamidou, l’histoire des tirailleurs marocains dont fit partie son père, jusqu’à Liberté, Égalité, Sexualité, en passant par Allah Superstar, Sam Touzani pratique un humour militant qui dégomme les islamistes, les monarchistes, les machistes et tous les -istes toxiques de notre monde.

Avec sa dernière création, Cerise sur le ghetto, sa démarche prend un tour plus personnel puisqu’il y déroule son histoire familiale, depuis le Rif marocain, où naquit son père, sorte de Hulk aux épaules plus vastes que les montagnes de l’Atlas, jusqu’à Molenbeek où la famille de Sam Touzani posa pour la première fois ses valises. Si le comédien déploie toujours cette tchatche impertinente qui le caractérise, il la patine cette fois d’une tendresse inédite, quand il s’agit de rendre hommage à ses parents hauts en couleur, à ses sœurs qui lui ont appris à penser par lui-même, ou encore à son épouse et à sa petite fille qui lui indiquent le chemin de l’espoir et de la lumière.

 

Le pouvoir de dire non

Simplement accompagné d’un musicien (Mathieu Gabriel et son fiévreux beatbox qui fait pulser le récit), Sam Touzani remonte le fil de son histoire. Il raconte ce père, affublé d’une improbable logorrhée verbale et écrasé par la culpabilité suite à une dette impayable. Il dépeint cette mère qui lui a appris le pouvoir de dire non quand elle s’érigea contre ces hommes du consulat marocain qui la tabassèrent parce qu’elle avait refusé de céder au bakchich pour obtenir ses papiers d’identité. Il se souvient des coups qu’il reçut à 15 ans parce qu’il avait osé manger une cerise en plein ramadan. Il fait éclater la salle de rire quand il décrit l’opération foireuse de sa circoncision menée par une espèce de Gollum déterminé à lui voler son « précieux ».

On y devine ses tiraillements identitaires, partagé qu’il est entre « Tintin et Miloud », le premier l’exhortant à s’intégrer, le deuxième lui susurrant qu’avec sa tête de basané, il aura forcément une vie de chien. On comprend que ce n’est pas avec Allah que le comédien a eu des problèmes mais avec son fan club, avec ces hommes proclamant que l’Islam est une religion d’amour et de paix, tout en jurant, dans un même mouvement, qu’il faut égorger ceux qui disent le contraire.

Entre stand-up, danse, rap, Cerise sur le ghetto est un surtout une ode à la vie, à ses parents – merveilleux moment de poésie quand le comédien les fait danser avec ses mains – une ode à la Belgique aussi. Un acte de bravoure également, incontestablement, pour défendre la liberté de penser et le droit de rire du sacré.

Ah ! Les jolies colonies, nostalgie et brisure de l’enfance

Soraya Belghazi - Le Suricate Magazine 17/02/2022

Ben Hamidou excelle dans le seul en scène. Ah ! Les jolies colonies, son dernier spectacle, évoque avec peps, tendresse et humour ses souvenirs d’enfance – ceux d’un petit belgo-algérien confronté à un choc culturel au fur et à mesure qu’il s’émancipe du foyer familial. 

Comme dans nombre de ses autres spectacles, Ben Hamidou s’inspire largement de son histoire personnelle. Dans Ah ! Les jolies colonies, il partage ses souvenirs d’enfance sur le mode de la confidence, de l’arrivée de sa famille Belgique, alors qu’il était encore bébé, à sa première colonie de vacances en 1970.

La nostalgie heureuse

Avec un réel talent d’imitateur, il incarne les différents membres de sa famille : son père, ouvrier-peintre qui ouvre la voie, l’oncle Bachir qui se pose en chantre de l’intégration, et surtout « henna », la grand-mère paternelle, un personnage central dans la vie du petit Mohammed et auquel Ben Hamidou avait consacré tout un  spectacle en 2010 (l’excellent Sainte-Fatima de Molem, également mis en scène par Gennaro Pitisci).

Le décor, très dépouillé – seule une chaise en bois trône au milieu de la scène – n’empêche par une mise en scène très dynamique. L’ambiance intimiste créée par les confidences du comédien, assis sur sa chaise face au public, alterne avec des moments d’exaltation lors desquels Ben Hamidou chante, danse, et gesticule sur de courts extraits musicaux des années 1960. Le résultat est réussi car on ne s’ennuie pas une seconde et le public rit à gorge déployée.

La famille, à la fois refuge et source de déchirement

Plus que le départ en colonie de vacances, c’est la séparation de ses parents qui est véritablement le moment charnière du spectacle. Traumatisé, le petit Mohammed se voit contraint de choisir entre son père et sa mère. Il commence alors une nouvelle vie hors de la grande maison familiale, dans un foyer réduit où il est le seul enfant. Choyé, surprotégé, il est mal préparé au choc que va constituer l’envoi en colonie de vacances, alors qu’il n’a que six ans.

Un regard d’enfant sur la double culture

Le séjour en colonie chez les sœurs catholiques est d’abord vécu comme une punition. Les autres enfants se moquent de lui, et le petit Mohammed ne s’intéresse ni aux sangliers du domaine ni aux activités de groupe. Son regard d’enfant sur les « bizarreries » des Belges donne lieu à des sketches très drôles, mais Ben Hamidou n’occulte pas la solitude de l’enfant et son sentiment d’abandon. Faisant de son apprentissage de l’indépendance une histoire de résilience, il transformera sa brisure en force… faisant de lui l’homme qu’il est aujourd’hui.

Un très bon spectacle à savourer jusqu’au 26 février 2022 au Théâtre des Riches-Claires.

Pourquoi il faut aller voir le nouveau spectacle de Ben Hamidou, « Ah les jolies colonies » au Centre culturel des Riches Claires

Malika Madi - 20/02/2022 Divercite.be

Ben Hamidou est un habitué de la scène et ce n’est pas la première fois qu’il prend possession d’un espace scénique en solo pour exprimer un pan de son histoire. Dans ce seul en scène, il conjugue, le temps de la représentation, toutes les facettes qui font de lui cet artiste généreux et particulièrement habité. 

Certes, c’est son histoire qu’il nous raconte, mais tout comédien vous dira qu’il est plus facile d’incarner un rôle qui vous éloigne de vous-même qu’un rôle dont vous portez les aspects intimes.

De quoi nous parle ce spectacle ? D’un petit garçon qui, à l’aune de sa vie, est très vite victime de ce qui pourrait se traduire par l’inconséquence des adultes qui en ont la charge. A la décharge des parents, on peut imaginer que le déracinement de l’Algérie vers l’Europe est aussi un traumatisme mais n’est-ce que cela ? Arrivés à Molenbeek, dans une rue qui fait rêver d’aristocratie belge, la rue du Compte de Flandre, les cousins, les cousines, les oncles, les tantes trouvent dans une maison unifamiliale, transformée en appartements multiples, un relent de vie communautaire qui rappel celle que l’on connaissait au pays. Mais le bonheur ou la semi insouciance ne dure pas.

Les parents du petit garçon se séparent et Mohamed à qui l’on demande de choisir entre sa mère et son père, il n’a alors que six ans, se jette sous les jupons de sa grand-mère paternelle, on en conclut que c’est avec son père qu’il veut vivre. Privé de sa mère, gardé par une grand-mère, certes aimante mais souffrante, son papa n’a d’autres choix, en novembre 1970, que de placer l’enfant en colonies pour une période initiale de 15 jours… Huit mois plus tard, l’enfant finit par se rappeler au bon souvenir du père qui, entretemps, a refait sa vie avec une compagne qu’on lui présente comme une tante.

Ben Hamidou, dans une mise en scène très éthérée de Gennaro Pitisci, évoque cette période de sa vie avec humour, émotion, lucidité, mais aussi tendresse et empathie. Empathie pour les adultes sur qui il ne porte aucun jugement. Empathie pour l’Institution qui en a eu la charge. Empathie pour ses coreligionnaires de colonies dont ilévoque avec tendresse et humour les souffrances d’être éloignés des repères familiaux. 

Mohamed transformé en Ben, sait aujourd’hui qu’il est aussi l’homme devenu grâce à son histoire. Et en se la réappropriant pour nous l’offrir avec cette intelligence de jeu, c’est aussi une manière de cautériser une plaie béante que même le temps, et certains moments du jeu le révèlent, ne parvient pas totalement à refermer.

« Ah les jolies colonies » Mise en scène de Gennaro Pitisci, assisté de Maïté Renson. Avec Ben Hamidou. Du 16 au 26 février 2022 au Théâtre Les Riches-Claires à Bruxelles.

 « Ah les jolies colonies » le récit lumineux d'une enfance cabossée à l'Espace Magh

François Caudron - 28/03/2023 RTBF.be

Ben Hamidou remonte le fil d'une enfance marquée par le déracinement, l'éloignement familial et par la découverte d'autres possibles. 

Ben Hamidou est né en Algérie. Il est arrivé sur le sol belge emmitouflé dans une couverture pour bébé, bien à l'abri du monde, protégé par les bras de sa grand-mère. Il a grandi à Molenbeek, à la rue Comte de Flandre. Il se souvient de l’effervescence qui régnait dans cette première grande maison bruxelloise. Il évoque la dynamique imposée par ses parents pour adopter le mode de vie du pays dans lequel ils vivaient. A la maison, la famille Hamidou mange avec des couverts, la bouche toujours fermée. On danse le twist au milieu de salon. Au-dehors, les jeunes femmes portent la minijupe et les sourires épousent les couleurs du rouge à lèvres.

Mais l’univers bascule. Les parents se séparent. Le divorce est prononcé. L’hospitalisation de sa grand-mère et les absences répétées de son père le conduisent à la porte d’un autocar. On lui dit qu’il part en colonie mais du haut de ses six ans, il comprend qu’un foyer d’accueil est au bout du voyage.

Ah ! Les jolies colonies

Seul sur le plateau, Ben Hamidou aborde cette histoire avec les yeux d’un enfant. " Ah ! Les jolies colonies " est un récit lumineux, rythmé par des images et des souvenirs. Les odeurs, les chants, les accents ressurgissent et finissent par évoquer le mensonge, l’abandon et la construction de soi.

" Molenbeek, c’était ma terre natale, c’était mon terrain de jeu. […] La tristesse s’est transformée en récit parfois joyeux, parfois mélancolique mais plus de tristesse. "

Ben Hamidou au micro de François Caudron.

« Ah les jolies colonies » entre aventures familiales et blessures de l'enfance

Romain Brindeau - Le ligueur 27/03/2023

Du 29 mars au 1er avril, Ben Hamidou sera sur la scène de l'Espace Magh avec Ah! Les jolies colonies. Sortie en pleine période covid, cette création originale va donc vivre une deuxième vie. Et de vie(s), il en est fort question dans ce "one-man Hamidou"

Pour vous inciter à aller voir Ah ! Les jolies colonies, on pourrait vous présenter toute une galerie de personnages. Il y aurait le petit Ben, qui du haut de ses 6 ans va se voir propulser dans un monde inconnu, mais aussi sa grand-mère, personnage incroyable ayant vécu cinq guerres et tatouée des pieds à la tête. On évoquerait sans doute aussi cet oncle travaillant dans les chemins de fer et grand sociologue du repas sur rails ou encore, sœur Loredana et sa gentillesse… mais voilà, si ces personnages méritent toute votre attention, c’est sur scène qu’il faut les découvrir, accompagnés par la verve, l’humour et toute la tendresse de Ben Hamidou.

« C’est un bout de ma vie que j’avais envie de raconter, un peu comme on raconte ces histoires transmises oralement, notamment dans le Maghreb. Je pars de mon histoire personnelle pour en faire quelque chose de plus universel, dans lequel on retrouve le déracinement, le harcèlement, les non-dits familiaux, mais aussi l’ouverture aux autres, la curiosité, la bienveillance. »

UNE CIBLE FACILE

Tout en rupture de rythme et de ton, Ben Hamidou fait fonctionner sa boîte à souvenirs pour s’arrêter sur un point central de sa vie. Alors qu’il est âgé de 6 ans, sa grand-mère qui s’occupait de lui quotidiennement est hospitalisée alors que son père travaille. Il est donc envoyé dans un centre d’accueil près de Ciney pour deux semaines… qui deviendront onze mois, la faute à différents aléas familiaux.

« Je suis arrivé dans un monde inconnu, raconte Ben Hamidou. J’étais le plus jeune et je n’avais pas les codes. Moi, le petit arabo-musulman qui n’était jamais sorti ou presque de la chaussée de Gand, j’étais plongé au cœur d’une institution catholique, avec ses sœurs façon cornettes comme dans les films de Louis de Funès et 250 enfants déjà habitués aux lieux et à la façon de vivre. J’y ai découvert combien les enfants peuvent être implacables entre eux, mais aussi le cinéma qui était ma bouffée d’air ». D’ailleurs, sans vous divulguer une partie de la pièce, on vous dira juste que François Truffaut et Les 400 coups ont une place particulière sur scène…

Un peu hors du temps mais terriblement contemporain, plein de gourmandise mais aussi cruellement réel, Ah ! Les jolies colonies ne manquera pas de vous embarquer avec finesse, drôlerie et tendresse. Un chouette voyage que vous pourrez poursuivre avec les bords de scène proposés par le comédien, le Brocoli Théâtre et l’asbl PREFER.

« Ah les jolies colonies » : Ben Hamidou se livre sur son enfance avec humour et délicatesse à l'Espace Magh

 28/03/2023 - Sudinfo

Du 29 mars au 1er avril, Ben Hamidou investit l’Espace Magh pour présenter son dernier spectacle. Dans « Ah ! Les jolies colonies », il dévoile son enfance tel un album de famille dans un seul en scène.

D’origine algérienne, Ben Hamidou arrive à Bruxelles dans les années 60 alors qu’il n’est qu’un bébé. Sa famille (une trentaine de personnes) s’installe à Molenbeek rue du Comte de Flandre. Si pour certaines personnes, les colonies font penser aux vacances et éveillent des souvenirs heureux, pour Ben, cela renvoie à une rupture familiale.

Dans son dernier spectacle « Ah ! Les colonies », l’artiste remonte le temps jusqu’à son départ de l’Algérie pour livrer ses souvenirs d’enfance à l’Espace Magh du 29 mars au 1er avril.

Seul sur scène, il incarne les différents membres de sa famille (grand-mère, parents, tantes…) pour constituer un album familial. Après une douloureuse séparation de ses parents à l’âge de 7 ans où il doit choisir, son père l’envoie en novembre 1970 en colonie. Ce qui ne devait durer que 15 jours, se transforme en huit mois dans une campagne déserte où boudins, compotes et autres rollmops remplacent les délicieux tajines de sa grand-mère. Ces « colonies de vacances » ont bien vite un goût amer et avec elles naît une multitude de questions, de violences, de tristesses. Ben est en fait un enfant placé. Il n’en sait encore rien…

Ben Hamidou transcende cet épisode douloureux et le dépose sur scène avec humour parce que ça permet d’écouter les blessures les plus profondes mais aussi avec tendresse et surtout sans jugement.

Le spectacle est programmé pour six représentations (deux scolaires avec bord de scène et quatre tout public). Ben Hamidou et le Brocoli Théâtre ont souhaité encadrer chaque représentation par une rencontre autour du thème délicat de l’enfance placée. À l’issue de toutes les représentations, y compris les scolaires, Ben échangera avec le public en compagnie de psychologues spécialistes de la question.

« Ah les jolies colonies » : Scènes à ne pas manquer

 29/03/2023 - MAD

Après "Sainte Fatima de Molem", Ben Hamidou rouvre son album de famille mais, cette fois, pour replonger dans un épisode douloureux de son enfance. Jonglant avec une riche palette de personnages, le comédien raconte ses premiers pas en Belgique jusqu'à cet incident familial, quand il avait 6 ans, à la suite duquel il sera exilé dans un pensionnat catholique. Drôle et tendre!

Le théâtre-action fait de la résistance

Michel Paquot Juin 2023 - L'appel

Elles sont une dizaine autour d'une grande table à échanger sur l’histoire d’un jeune couple. En ce mercredi d’avril, ces femmes – plus un seul homme – réunies dans le local du Brocoli Théâtre peaufinent le conte qu’elles construisent depuis plusieurs mois et qui débouchera en juin sur un spectacle-lecture. Elles viennent surtout d’Afrique du Nord et de Syrie et ont été envoyées par SIMA, une asbl bruxelloise qui accompagne les personnes issues de l’immigration dans leur parcours d’intégration en Belgique.

« Ce sont majoritairement des femmes, les hommes sont moins réguliers et ont tendance à nous quitter en cours d’année, constate Gennaro Pitisci, le directeur de la compagnie et l’un de ses deux metteurs en scène avec Maïté Renson. On sent qu’elles ont besoin de maîtriser la langue française, ne fût-ce que pour suivre leurs enfants à l’école. Elles sont voilées, une apparence physique qui dit qu’elles sont soumises aux règles de l’islam. »

 

UNE PAROLE LIBRE

 

« Lors des premières séances, elles racontent leurs parcours, leurs histoires personnelles. On leur fait comprendre qu’elles peuvent s’exprimer librement. On part d’improvisations et, progressivement, une histoire naît. Le sujet qui revient très fort, ce sont les relations entre hommes et femmes. Elles se rendent compte que tout ce qu’elles amènent va déboucher sur un traitement artistique, dont la forme la plus adaptée est la lecture afin qu’elles ne soient pas obligées d’incarner un personnage et de se costumer. Pourtant, au moment de la représentation publique dans les locaux de SIMA, plusieurs d’entre elles disparaissent soudain, avançant un prétexte quelconque. Il faut savoir que certaines cachent à leur mari qu’elles viennent ici. »

 

Ce type de création collective, comme cette autre menée à Sambreville avec des adolescents et consacrée à la violence dans les relations amoureuses des jeunes à l’heure des réseaux sociaux (Je l’aime, un peu beaucoup…), le Brocoli Théâtre les réalise en parallèle avec des spectacles autonomes interprétés par deux de ses membres, Sam Touzani (Cerise sur le ghetto) et Ben Hamidou (Ah ! Les jolies colonies !) et co-écrits avec le Brocoli, dont la devise est « Une fenêtre ouverte sur l’Autre ». «  On aurait pu prendre aussi cette parole de Jésus : « Je serai avec vous lorsque vous serez réunis » complète son responsable. On essaie que naisse cette alchimie, cette magie de l’échange symbolique qui n’existe que lorsque les êtres humains sont les uns en face des autres et que quelque chose émerge. »

Installée dans une pépinière d’artistes à Saint-Josse, cette compagnie est l’une des plus anciennes du théâtre-action né au début des années 80. Cette pratique théâtrale consiste à créer collectivement des spectacles sur des sujets sociaux et sociétaux avec des populations qui n’ont pas « l’habitude de prendre la parole ou d’exister sur l’espace public et encore moins dans un cadre artistique », selon la définition de la Fédération Théâtre Action qui réunit la vingtaine de compagnies en Wallonie et à Bruxelles.

 

SOCIÉTÉ PLUS JUSTE

 

Agir « aux côtés de ceux qui luttent contre les oppressions de toute nature, pour une société plus juste et plus ouverte » : cette autre définition du théâtre-action est celle que s’est donné le Théâtre du Copion installé à Saint-Ghislain. La compagnie hennuyère est née d’un théâtre d’intervention à la fin des années 70, dans des usines en grève, dans la rue et les manifestations. Ses comédiens-animateurs organisent des ateliers d’expression avec des groupes envoyés par des structures comme les CPAS, des services d’aide à la jeunesse, des centres hospitaliers, pénitenciers,…

Un jour, ils travaillent avec des enfants en rupture parentale, un autre avec des personnes qui rencontrent des difficultés avec la prise de parole, un troisième avec un groupe de femmes.

« On n’arrive jamais avec un texte, explique Alba Izzo, sa directrice. Soit les participants ont envie de travailler sur une thématique, soit celle-ci apparaît progressivement. Ils ne savent pas ce qu’est le théâtre, que l’on peut inventer une histoire, créer un personnage. On travaille aussi avec des primo-arrivants qui parlent mal le français. Le plus difficile est de leur redonner confiance en eux. »

 

Le Copion mène une quinzaine d’ateliers en parallèle avec ses créations propres qui lui font aborder des thèmes comme la gestion des déchets et du développement durable (La Fusée poubelle) ou la consommation d’alcool et de drogue chez les jeunes (Turboteen). « Il n’y a pas de morale, on ne dit jamais : « Ce n’est pas bien », ce serait contreproductif. Ce sont les participants qui trouvent eux-mêmes les solutions qui leur permettent de se questionner. Sur le harcèlement (Chut au silence !), par exemple, on place alternativement les jeunes dans la peau du harceleur, du harcelé, du témoin… »

 

OUTIL DE RÉSISTANCE

 

« Le théâtre est un outil de résistance centré sur l’humain et qui crée du lien », soutient Isabel Cue Alvarez.

La Cie Espèces de…, qu’elle a fondée avec deux comédiennes, sa sœur Béatriz et Martine Léonet, ne cesse en effet de tisser des liens sociaux. Dans le quartier Saint-Léonard, populaire et multiculturel, qui borde la Meuse au nord de Liège, elle travaille notamment avec l’ASBL Agora, un lieu de débat sur la citoyenneté et la démocratie. Elle prend ainsi en charge des personnes en apprentissage du français. Ailleurs, en partenariat avec le CPAS, elle crée un spectacle autour du thème des ressources. La compagnie pratique ce qu’elle nomme la « démocratie culturelle ».

 

« Ce n’est pas la culture qui va vers ceux dont on dit qu’ils en sont dépourvus, mais on fait apparaître leur culture propre, précise la metteuse en scène Lara Persain, qui a rejoint l’équipe. On développe l’estime de soi, on va chercher les choses positives chez chacun. Le théâtre est rassembleur, il amène de la solidarité, de la chaleur. » Des roses et du pain, construit à partir d’un atelier collectif, met en scène des femmes de ménage qui, refusant de quitter les bureaux qu’elles sont venues nettoyer, se racontent. Deux créations autonomes ont également vu le jour : Madame M, une femme s’interrogeant sur le monde d’aujourd’hui, et Petits Pois(d)s, où Béatriz Cue Alvarez considère la transmission à travers son parcours de fille d’immigrés espagnols.

 

Depuis 40 ans, le théâtre-action prouve son utilité sociale. Mais, s’il est subventionné par la FWB, ses acteurs s’accordent pour constater qu’il reste sous-financé. Leur inquiétude est d’autant plus vive que le nouveau contrat-programme en cours d’élaboration les empêcherait de chercher des financements supplémentaires pour des projets ponctuels, sans pour autant augmenter leur enveloppe globale…

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Caudron
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Sudinfo23
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Mpaquot

Les Racines élémentaires de Ben Hamidou :

« Alors que j’étais abandonné, le théâtre a commencé à me protéger »

Catherine Makereel - Le Soir 17/11/2023

 

Ce lundi, Ben Hamidou sera mis à l’honneur par les prix Maeterlinck de la critique pour l’ensemble de sa carrière. Enfant, le ket de Molenbeek traversait le canal pour aller faire du théâtre. Aujourd’hui, c’est lui qui sert de pont pour amener les jeunes sur les planches.

Making of

Rendez-vous est pris en plein cœur de Molenbeek, à deux pas de la station de métro Comte de Flandre. C’est là que Ben Hamidou a grandi, c’est là qu’il s’est marié et a acheté sa première maison il y a 30 ans et c’est là aujourd’hui que l’on trouve le siège de son ASBL, Smoners, avec laquelle il œuvre à la démocratisation culturelle en initiant jeunes et moins jeunes au théâtre. « On ne quitte jamais vraiment Molem », sourit l’artiste alors qu’on grimpe jusque sous les toits où il va, pendant près de deux heures, dérouler une vie que les blessures d’enfance ont forgée et que les rencontres providentielles ont aiguillée.

Père de deux enfants (dont l’un, Amine, finit ses études au Conservatoire de Liège), Ben Hamidou ne s’arrête jamais. Ce soir-là, il revient des répétitions du Songe d’une nuit d’été, une pièce qui mêle Shakespeare à la question migratoire. Construit avec des personnes en situation de migration, ce projet de la Cie des Nouveaux Disparus voyagera bientôt en Tunisie, Grèce, Italie, Allemagne et France pour questionner l’exode et le déracinement, des sujets qui traversent aussi cet entretien.

Ben Hamidou

Né en 1966 en Algérie dans une famille de Rifains marocains, Ben Hamidou arrive en Belgique encore bébé et grandit à Molenbeek.

Sur les planches, il joue pour le Brocoli Théâtre ou encore la Cie des Nouveaux Disparus. Souvent seul en scène (Sainte Fatima de Molem, Ah, les jolies colonies), il a aussi joué avec Sam Touzani dans l’inoubliable Gembloux. Au cinéma, il a joué pour Nabil Ben Yadir (Les Barons), les frères Dardenne ou encore Benoît Mariage.

Entretien

« Ma mère m’a eu à 14 ans. C’était une gamine, ça ne pouvait pas marcher »

Son enfance ressemble aux « 400 coups » de Truffaut, mais en version maroxelloise. Des blessures, trahisons et abandons qui ont émaillé sa jeunesse, il en a tiré une gouaille à toute épreuve. Qu’il se raconte sur scène ou qu’il se prête à l’écran (des frères Dardenne à Adil et Bilal).

Son tout premier spectacle – qu’il jouait dans les fêtes de mariages – s’intitulait Histoire d’un Maroxellois qui croque le monde.

Ben Hamidou savait-il alors que la suite allait lui donner à ce point raison ? Le ket de Molenbeek, devenu comédien par des voies détournées, n’a cessé de croquer, croquer, croquer. Dans tous les sens du terme. Comme on croque à pleines dents dans une pomme, il a dévoré la scène et l’écran. Comme on croque des personnages aussi, il a dessiné des portraits, non pas sur le papier, mais sur les planches, que ce soit des autoportraits (Sainte Fatima de Molem, Ah les jolies colonies) ou non (Gembloux à la recherche de l'armée oubliée, inoubliable duo avec Sam Touzani sur les tirailleurs marocains en 1940). Au cinéma, il a été un inénarrable imam dans Les Barons de Nabil Ben Yadir ou le bourgmestre de Molenbeek plus récemment chez Benoît Mariage (Habib, la grande aventure). Citons encore son rôle d’entrepreneur de pompes funèbres dans la série Grond d’Adil El Arbi et Bilall Fallah sur Netflix. Mais si les prix Maeterlinck de la critique lui remettront lundi le prix Bernadette Abraté (qui récompense l’ensemble d’une carrière), c’est aussi pour son infatigable travail de transmission. Inlassablement, il forme les jeunes de son quartier à la pratique de la scène, les accompagnant dans la création d’œuvres remarquables comme le récent A peu près Othello d’à peu près Shakespeare, qui a eu les honneurs du Théâtre national. D’ateliers en stages, l’artiste mène des profils parfois éloignés des circuits balisés de la scène et de ses institutions vers les écoles d’art, sésame pour accéder à nos planches.

Je ne serais pas devenu ce que je suis si…

Si je n’avais pas été abandonné à l’âge de six ans dans ce qu’on appelait alors les « colonies ». Mes parents se sont séparés très tôt. J’étais élevé par une grand-mère omniprésente. Quand elle a été hospitalisée, mon père – qui travaillait et ne savait pas quoi faire de moi – est allé à la mutuelle. On lui a dit : « Ecoutez, Monsieur, pour les enfants en difficulté, il y a “les colonies”. » Je me retrouve alors dans ce château à 100 kilomètres de Bruxelles, à Serinchamps. Mon père me dit que je vais rester 15 jours mais, entre-temps, ce que je ne sais pas, c’est qu’il a un accident de travail. Il tombe d’une échelle de six mètres. Au lieu de rester 15 jours, je vais rester un an et demi.

Et votre mère dans tout ça ?

Ma mère s’est mariée avec mon père à 13 ans. Mon père avait déjà eu une première femme qui était morte de la tuberculose en Algérie.

Ma mère et mon père habitaient dans le même immeuble. Ce sont les grands-mères qui ont arrangé le mariage. Ma mère m’a eu à 14 ans.

Elle ne savait pas me donner le sein, elle n’avait pas de lait. Elle n’avait rien demandé, donc, elle ne venait pas me câliner. C’était une gamine, ça ne pouvait pas marcher. Quand je suis né, ma grand-mère a dit : « Allez hop, c’est à moi ! » Elle m’a confisqué. C’était ma mère de substitution. Un jour, j’ai entendu ma mère et un autre homme parler dans la chambre à coucher de mes parents. Et comme j’étais un enfant et qu’un enfant, ça ne sait pas garder un secret, j’ai couru le dire à ma grand-mère, qui l’a dit à mon père. Et puis ce qui devait arriver arriva. Ma mère est partie. Elle avait 19 ans. Il y avait donc cette culpabilité, quand j’étais enfant : si je n’avais pas parlé, peut-être qu’elle serait restée.

Arrive aussi l’épreuve de la « colo » ?

A six ans, je n’étais jamais sorti de Molenbeek et me voilà dans un autocar à la gare du Nord. Je me retrouve un peu comme dans le château de Harry Potter. Je suis seul, loin de chez moi et des gens que j’aime, en particulier de ma grand-mère. Les enfants sont cruels et, comme j’étais enfant unique, je n’avais pas appris à être avec les autres. On était deux Maghrébins. L’autre était mon harceleur. Les premières nuits sont terribles. J’arrive dans cet endroit tenu par des sœurs avec leur cornette blanche. Il y a des crucifix d’1,20 m dans le dortoir.

On te dit : « Si t’es pas sage, Jésus viendra te donner la fessée », alors tu ne dors pas la nuit. Tu regardes le crucifix et tu es persuadé qu’il a bougé. La vie battait son plein entre l’école, les sorties, la solitude, les pleurs, le harcèlement. En même temps, j’ai commencé à avoir ce truc inné du théâtre pour me protéger. Et ça commence par le mensonge.

C’est-à-dire ?

On allait à l’église tous les dimanches. Un jour, le curé, qui voyait que je pleurais beaucoup, demande qui parmi nous a fait sa communion. Je dis : « moi, Monsieur. » Il savait pertinemment que c’était faux mais je suis devenu enfant de chœur. C’était génial. C’était déjà jouer à être quelqu’un d’autre. Tu mets des vêtements, tu fais la messe. J’ai adoré ça. Je connaissais toutes les chansons. Parfois, pour épater mes amis musulmans, je leur récite Je Vous salue Marie. J’ai appris à connaître une autre culture même si, quand ma famille est arrivée en Belgique, notre vie était mixte, nos amis étaient essentiellement des Belges. C’est aussi à la colo que j’ai découvert le cinéma. C’est là que j’ai vu

Les 400 coups de Truffaut et c’est ce film qui m’a donné l’idée de m’enfuir, d’où ma cicatrice (il montre le côté de son visage, NDLR).

Comment s’est passée cette évasion ?

Au moment où je vois Les 400 coups, mon père n’est toujours pas venu me chercher. Que voit-on dans le film de Truffaut ? Un gamin qui vit avec son beau-père et voit sa mère embrasser un homme. Puis ce gamin est placé et il s’enfuit ! Je m’identifie complètement. La nuit, je prends des draps, un sac. Il fallait descendre un étage et demi mais quand on a six ans, c’est quand même haut. Je pars en pensant arrêter une voiture pour lui demander de m’emmener chez mon père, mais le château est entouré de forêts et d’étangs. Il n’y a rien. Au loin, je vois des phares de voiture et je cours, je cours et là, paf ! Barbelés, je pense, je ne sais pas. Quand je me réveille, je me retrouve dans une ambulance en direction de l’hôpital de Marche.

Finalement, vous êtes rentré à la maison ?

J’avais gagné puisque deux semaines après, mon père est venu me rechercher. Sauf que, quand je rentre chez moi, mon père me dit : « Je te présente ta tante. » Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas ma tante puisqu’elle allait se coucher dans la même chambre que mon père. Je lui ai fait des misères, la pauvre, pendant des années. Finalement, ma grand-mère est revenue et on a vécu avec mon père, malade. Après la chute de l’échelle, il est resté invalide. Mon père avait des absences, il pouvait tomber dans la rue. Vers 12 ans, je devenais un peu l’homme de la maison. J’ai dû l’accompagner chez 50 ou 60 médecins. Il avait une tache dans le cerveau. Ils n’ont jamais su ce qu’il avait. Pendant que je l’accompagnais, il me racontait des histoires. Mon père était soufi. Ma grand-mère aussi me racontait beaucoup d’histoires.

Cette grand-mère, c’était un personnage…

J’ai été élevé par une grand-mère omnipotente, berbère, tatouée, qui a connu beaucoup de guerres : guerres tribales, Première Guerre mondiale, guerre d’Espagne, Deuxième Guerre mondiale et guerre d’Algérie aussi. A cause de la famine au Maroc dans les années 40, ma grand-mère, qui vient du Rif, a émigré à Oran, en Algérie, alors que mon père était bébé. Elle a vécu jusqu’à 104 ans. Elle m’a sauvé parce que ma mère était trop jeune. Elle ne me laissait pas sortir mais j’avais des livres, des bandes dessinées. Avec la télé, j’avais aussi un miroir. J’y puisais des personnages. Je me déguisais beaucoup en femme parce que j’allais chercher dans les vêtements de ma grand-mère. Le soir, on jouait des scènes à deux. Si je voyais un western, je jouais John Wayne et je lui disais de jouer l’Indien, de crier, de se cacher. Je n’avais pas beaucoup de copains alors je m’inventais des personnages. J’avais le temps de m’ennuyer. Et quand tu t’ennuies, tu réfléchis, tu cherches, tu dessines, tu joues des personnages.

Qui vous a dirigé vers le théâtre ?

A l’école, j’avais un prof de français qui avait décelé en moi la merguez bruyante et qui, pour me calmer, m’a donné Caligula.

Je ne comprenais rien mais, petit à petit, j’ai commencé à lire, à me prendre au jeu. Puis, quand j’ai 17 ans, mon père décède. Heureusement, ma grand-mère était encore là et tenait vraiment les rênes, mais j’ai aussi trouvé un père de substitution. J’étais à l’école Oscar Bossaert. Les cours de religion islamique n’existaient pas à l’époque et on me dit : « Ne va pas en morale, c’est chiant. Va en religion catholique, le prof fait du théâtre. » Je me retrouve chez Christian Vercruysse. Il ne faisait pas du tout cours de religion et je me retrouve intégré au Casi, le Centre d’action sociale italien avec qui, tous les dimanches, rue des Alliés, on allait chanter. Je découvre le militantisme. On allait dans des petits centres culturels avec des chants révolutionnaires. J’avais 18 ans et je dis à ma grand-mère que je veux faire du théâtre.

Comment cela s’est concrétisé ?

A l’Académie de Bruxelles, j’avais un super prof qui s’appelait Henri Ridder. Tout le monde venait suivre ses cours, notamment Zidani, Serge Larivière, Benoît Van Dorslaer. Il me remarque et me dit que je dois faire le conservatoire. Avant que je monte sur scène, il me prenait comme ça (il mime le geste, NDLR) et me disait : « Montre à ces Belges de quoi tu es capable. » Il me préparait au conservatoire avec des scènes du Père Noël est une ordure, Othello ou encore Rosencrantz et Guildenstern sont morts. Mais, le jour où je dois me présenter au Conservatoire de Bruxelles, j’ouvre la porte, je vois tout ce monde, j’ai la pétoche et je m’en vais. Je ne le passe pas.

Mais vous trouvez une autre voie ?

Je suis parti au Club Med pendant trois ans. Quand je suis revenu en Belgique, le stand-up n’existait pas mais je faisais des sketchs. Je faisais aussi des spectacles dans les mariages. Je gagnais super bien ma vie. J’avais créé un spectacle qui s’appelait L’histoire d’un Maroxellois qui croque le monde. Je créais des personnages de l’époque : le flic raciste, le père immigré qui ne sait pas ce qu’il va faire et n’a plus de contact avec ses enfants, et quand il demande la nationalité, on lui demande s’il mange avec les mains. Puis, j’ai commencé à faire les cafés-théâtres : la Samaritaine, le Full Moon, Le Café chez Claude Semal. C’est à ce moment-là que je rencontre une personne qui va complètement changer ma vie : mon metteur en scène et ami Gennaro Pitisci, du Brocoli Théâtre. Un jour, je passe une audition au Brocoli Théâtre, où travaillait Sam Touzani, et je suis engagé par Gennaro pour faire ce qu’on appelait du théâtre Forum. Avec mon pote Sam, on habitait dans le même quartier à Molenbeek. Moi, j’habitais rue du Jardinier et lui, rue Mommaerts.

Que vous a appris Gennaro Pitisci ?

Il m’a appris mon métier. J’étais la petite merguez qui brille, qui veut faire rire. Il me disait toujours que rire, c’est bien, mais qu’il faut que ça ait un sens. C’est avec lui que j’ai commencé à écrire. Ma grand-mère venait de mourir et il me disait : « Tu parles toujours de ta grand-mère, pourquoi tu n’en fais pas un spectacle ? En partant du particulier et en allant vers l’universel, ça peut intéresser les gens. »

On a créé Sainte Fatima de Molem, qu’on a joué plus de 200 fois. C’est un grand monsieur qui est parfois dans l’ombre mais qui fait un travail extraordinaire. Je ne pense pas que je serais là si je ne l’avais pas rencontré.

Et puis il y a eu Gembloux, qui a aussi été un tournant…

Ça a été THE tournant parce qu’avant Gembloux, on n’était pas pris au sérieux. Pendant ses travaux, le KVS était installé à Molenbeek et c’est comme ça que je rencontre Jan Goossens qui me dit qu’il a envie de travailler avec des « allochtones ». On nous a donné tous les noms : les gens d’origine immigrée, les Maroxellois, les allochtones, et maintenant "les racisés". Tout ça me gave. Moi, je dis simplement que je suis bruxellois. Il n’empêche qu’ils ont été les premiers à nous faire confiance et le deal était honnête. On était allés voir la Communauté française qui ne voulait pas en entendre parler. On a créé Gembloux en français sous-titré en néerlandais. Puis on a joué à Avignon, au Congo, en France. C’est vrai qu’après, ça a été un peu plus facile.

Comment est arrivé le cinéma ?

Le cinéma est venu par accident. Comme j’étais comédien mais que je n’arrivais pas à en vivre, je donnais des cours d’interculturalité à la Ligue de l’enseignement et l’éducation permanente. Des animations où j’utilisais des techniques théâtrales en interdisciplinarité avec le cours de français. Et là, je rencontre Nabil Ben Yadir, qui était élève dans une école difficile. On sympathise. Et un jour, longtemps après, il me dit qu’il fait un film et me demande si je ne veux pas jouer le rôle d’un imam. Je suis sceptique mais il me dit alors que Fellag joue dans le film et là je dis oui tout de suite. Je suis un fervent admirateur de Fellag. Je me suis amusé comme un fou. Après, j’ai fait des petits rôles chez les frères Dardenne. Mais les frères Dardenne, ça équivaut à un an ou deux ans de formation dans un conservatoire. Ce sont les seuls qui prennent presque une heure avec un figurant. Après les attentats, j’ai eu beaucoup de rôles de djihadiste. Puis j’ai joué les papas de djihadistes. Mon fils m’a un jour demandé si je n’en avais pas marre. Je lui ai répondu que ça payait son kot. Ta valorisation, tu vas la chercher dans le projet artistique et le salaire, parfois, dans la réalité.

Récemment, vous avez joué le bourgmestre de Molenbeek dans un film de Benoît Mariage ?

Oui, Habib, la grande aventure. Mais je n’ai pas eu de chance : je devais avoir une scène avec Catherine Deneuve. Branle-bas de combat. Je vais chez ma mère – que je revois aujourd’hui – et il faut savoir qu’il y a trois personnes qu’elle adore : Catherine Deneuve, Dalida et Enrico Macias. Je me prépare. Je reçois ma feuille de service où il est écrit : Ben Hamidou et Catherine Deneuve. Mais une semaine plus tard, on me dit que « mademoiselle Catherine Deneuve » a eu un malaise. La scène que j’avais avec elle ne s’est pas faite. J’ai juste la feuille de service, que j’ai encadrée.

Aujourd’hui, vous transmettez votre passion aux jeunes dans les ateliers de théâtre à la Maison des cultures et de la cohésion sociale à Molenbeek. Certains de ces jeunes accèdent même au conservatoire.

Avec ces ateliers, on leur fait comprendre que le théâtre est possible pour eux. Qu’il n’y a pas de fatalité, simplement il y a plusieurs moyens d’y arriver. Alors c’est vrai que le théâtre, ça reste encore une tour d’ivoire. Les théâtres ont encore leurs « quotas ». Et ça m’a bien énervé quand ils ont instauré leur « Ramadan-friendly ». Mais quel ramadan-friendly ? Ils vont te dire que c’est pour être avec les musulmans. Mais j’ai envie de leur dire que s’ils veulent être friendly, qu’ils le soient dans leur programmation, qu’ils engagent des gens de la diversité, qu’ils travaillent avec des jeunes. Ça, ce serait friendly ! Il faut faire des spectacles où on parle d’eux. Mais sans tomber dans une culture de ghetto ou de communautarisme. On peut voir Le Parrain et y voir la trahison, la famille, les relations complexes, sans être italien. On peut voir un film iranien sans être iranien. On est touché parce qu’on fait les liens. Ce qui est important, c’est que les jeunes qui sortent aujourd’hui des conservatoires, ils vont raconter leur histoire, qui parlera à d’autres jeunes. Des histoires différentes. Il y a une volonté d’ouverture dans les écoles et ça, c’est déjà pas mal.

Avec le recul, avez-vous accompli ce que vous vouliez ou reste-t-il des frustrations ?

Je ne suis pas frustré. Si je me compare à un footballeur, il y a des fois où je joue en Champion’s League, des fois où je joue en première division et des fois où je joue en promotion, mais je joue, et j’aime ça. J’ai toujours du plaisir à être sur scène. Là, je travaille avec la compagnie des Nouveaux Disparus, c’est du théâtre forain et c’est bien. J’aime faire des choses très différentes. C’est ce que j’essaie d’inculquer aux jeunes : le plaisir et la passion.

 

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« Cette main, omnipotente, que pose ma grand-mère sur l’épaule de mon père, ça dit tout. En Algérie, mon père travaillait dans une société française de peinture.

Un jour, il a été pris dans une rafle. Il allait être fusillé avec d’autres.

Ma grand-mère m’a toujours dit que c’est une concierge chez qui elle travaillait, dont le mari était militaire espagnol, qui l’a sauvé. Et donc il a décidé de partir. Il est arrivé à Bruxelles en 58. Il a fait plusieurs allers-retours et il a fini par y amener ma mère et ma grand-mère. » - Photo : D.R.

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« Ma grand-mère – Chikar Fatima – m’a sauvé parce que ma mère était trop jeune. Elle ne me laissait pas sortir mais j’avais des livres, des bandes dessinées. Avec la télé, j’avais aussi un miroir. J’y puisais des personnages. Je me déguisais beaucoup en femme parce que j’allais chercher dans les vêtements de ma grand-mère. Le soir, on jouait des scènes à deux. Si je voyais un western, je jouais John Wayne et je lui disais de jouer l’Indien, de crier, de se cacher. » Photo : D.R.

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En 2005, « Gembloux » va propulser la carrière de Ben Hamidou et Sam Touzani. Ils y racontent un moment héroïque mais totalement oublié de l’Histoire, la Bataille de Gembloux qui, en 1940, a vu les Tirailleurs marocains, engagés dans l’armée française, anéantir une division blindée d’Adolf Hitler. Véritable réquisitoire contre les guerres, la pièce aborde aussi la valorisation des cultures issues de l’immigration. Photo : Brocoli Théâtre.

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« Je suis un grand admirateur de Fellag. J’ai voulu monter une pièce qu’il avait écrite et qu’il n’avait jamais jouée. Ça s’appelait “Comment réussir un bon petit couscous”. Il y faisait le lien entre la semoule et l’immigration. C’était génial. Je travaille dessus mais je me rends compte que le phrasé est trop Fellaguien et donc que je vais être minable. Très déçu, je lui ai dit que ce ne serait pas possible. Que son fantôme serait toujours là. Que ce serait du sous-Fellag. » - Photo : Hatim Kaghat

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« Gennaro Pitisci m’a appris mon métier. Il me disait toujours que rire, c’est bien, mais qu’il faut que ça ait un sens. C’est avec lui que j’ai commencé à écrire. Ma grand-mère venait de mourir et il me disait : “Tu parles toujours de ta grand-mère, pourquoi tu n’en fais pas un spectacle ?” C’est un grand monsieur qui est dans l’ombre mais qui fait un travail extraordinaire ».  

Photo : Maïté Renson

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A propos des jeunes qu’il accompagne dans ses ateliers de théâtre à Molenbeek (ci-contre, la distribution d’« A peu près Othello d’à peu près Shakespeare ») : « Ces jeunes, ils te grandissent ! C’est de l’énergie, de l’oxygène. C’est un atelier où le plaisir est vraiment au centre. On n’est ni au conservatoire ni dans une académie. Mais si certains décident de faire une école, alors on les prépare. Souvent, les anciens reviennent dire bonjour. Quand ils sont au Conservatoire et qu’ils disent qu’ils viennent de “Molem”, c’est chouette parce qu’on a dégusté, ici, en termes d’image ! » - D.R.

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Quand on lui demande de partager certaines de ses inspirations, Ben Hamidou énumère ceux qui ont forgé son humour et lui ont donné envie de fouler la scène. Parmi ses acteurs préférés, il y a Fellag, Philippe Caubère, les Monty Pythons, Smaïn. Et pour nous donner un boost de rire mâtiné d’élégance et d’émotion, il nous renvoie à "Gilbert sur scène", inoubliable seul en scène d’Yves Hunstad. Photo : Sylvain Piraux

Les amis de la diversité :

Malika Madi - Blog DiverCité.be 22/12/2023

 

Tout au long de l’année 2023, les 20 compagnies membres de la Fédération du Théâtre Action ont ouvert leurs portes et/ou sont allées en tournée en couvrant tout le territoire de la Fédération Wallonie Bruxelles.

Jeunes migrants mineurs non-accompagnés résidents de Fedasil, femmes élèves d’une école d’alpha, Belgo-Italiennes de la deuxième génération de l’immigration de la région du Borinage…

Hier, dans les locaux du Brocoli Théâtre, le monde était réuni rue de la Charité (la bien nommée) à Saint-Josse-ten-Noode.

Échanges et partages d’expériences pendant une matinée organisée par le Brocoli Théâtre, compagnie de théâtre action installée dans les locaux d’une cité d’artistes, les ateliers Mommen, à quelques encablures du quartier Madou.

Son directeur Gennaro Pitisci et sa collaboratrice Maïté Renson participent ainsi aux « Tournées sectorielles » propulsées par la Fédération du Théâtre Action.

Des rencontres d’ateliers ont donc eu lieu hier jeudi 21 décembre de 10h à 16h. Des extraits de textes ont été lus, parfois joués par des participants d’ateliers animés par trois compagnies : Le Brocoli Théâtre, Le Collectif 84,  La Cie du Campus et Smoners ASBL.

Le texte de présentation de l’évènement résume en ces termes l’initiative : le point commun des  divers ateliers est un focus sur les différentes immigrations que la Belgique a connues depuis les années 1950.

« L’immigration d’une génération à l’autre »

Et de fait : Syrie, Guinée, Afghanistan, Côte d’Ivoire, Maroc, Algérie, Italie, Grèce, Togo, Uruguay, Serbie, Espagne… chacun venu avec sa nationalité, mais universel en racontant leurs parcours ce jeudi 21 décembre dans la capitale européenne. On peut venir des quatre coins du monde, la douleur et les peurs que suscitent l’exil et la transhumance restent les mêmes.

Après un repas convivial préparé par des participantes aux ateliers invités, tout le monde a pu assister à l’extrait d’un spectacle, un working progess, L’excès, le silence et les autres  par la Cie Barbiana.

La pièce raconte l’histoire « de deux individus en souffrance enfermés dans une éducation et un monde anxiogènes. Pour l’un, l’écriture devient un exutoire, pour l’autre, source d’angoisse profonde. Leur rencontre donnera naissance à une amitié et à une lutte commune ».

S’en est suivi un bord de scène animé et riche.

Amismalika

(C) Areti Gontras

Cette journée de rencontres a été illustrée par l'artiste résidente des ateliers Mommen Areti Gontras.

Cerise sur le ghetto de Sam Touzani : Le pouvoir de dire non
Catherine Sokolowski - lesuricate.org 24/01/2024

 

Humour, amour et tendresse se partagent les devants de la scène de la dernière création de Sam Touzani, Belge d’origine marocaine, né dans une famille musulmane et devenu athée. Artiste protéiforme (danseur, chorégraphe, auteur…) et militant laïc, le comédien propose un seul en scène passionnant, soutenu par le beatbox et autres sons orchestrés par l’excellent Mathieu Gabriel. Partant du constat qu’il aurait tant souhaité avoir des « parents normaux », l’artiste nous parle de la logorrhée de son père, perturbé par une dette qu’il n’a pu rembourser, du courage de sa mère qui a tenu tête à l’ambassade du Maroc en 1972 et des faits marquants qui ont jalonnés son enfance. Un spectacle très touchant.

La scène est nue, séparée du backstage par un voile laissant discrètement entrevoir Mathieu Gabriel, maître du son. Energique, Sam Touzani apparaît, débutant son spectacle par l’histoire de son père. A 12 ans, ce dernier se fait voler l’argent de plusieurs familles du village après s’être endormi au pied d’un cèdre et, affreusement gêné, s’enfuit tout seul vers l’Algérie. Après avoir passé 3 ans auprès de missionnaires chrétiens, il est envoyé en Europe par l’armée française. Plus tard, il se marie et s’installe chaussée de Gand, à Molenbeek. Pourquoi ce père ne s’arrête-t-il jamais de parler ? Mystère. Ca aurait été tellement plus facile d’avoir des parents normaux : « je ne veux pas qu’on traite mon père de fou ».

Militant laïc convaincu, le comédien évoque quelques évènements de sa vie musulmane, la cérémonie de circoncision, vécue du haut de ses 5 ans, pendant laquelle, on a « zigouillé sa zigounette » ou les coups dont il a été victime à 15 ans, après avoir croqué distraitement une cerise en plein ramadan. Il a vite compris : « Ce n’est pas avec Allah que j’allais avoir des problèmes mais avec son fan club ». Avec son langage haut en couleur, ses nombreux jeux de mots et ses mimiques ne laissant aucun doute sur ses capacités de danseur, Sam Touzani nous transpose tour à tour dans le rif marocain, sur le marché de Molenbeek ou dans la pièce réservée à la prière, seul endroit dans lequel son père ne parle pas.

Ne sachant ni lire ni écrire, droits et honnêtes, les parents du comédien ont toujours été très reconnaissants à la Belgique de les avoir accueillis. Engagé, bienveillant, humain, féministe, Sam Touzani puise le meilleur de toutes les cultures et c’est avec le sourire qu’il dépeint les heurs et malheurs de son parcours : « Nous ne sommes pas condamnés à vivre éternellement dans un monde de barbares ». Clôturant son spectacle par une note d’ouverture et de tolérance, il nous donne déjà l’envie d’assister au suivant.

Sokolo
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